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de la Chaldée et les coupoles des palais ninivites, les hautes colonnades de Persépolis, les forteresses et les tombes taillées dans les flancs des montagnes de la Phrygie et de la Lycie, par-delà les murailles énormes des cités syriennes et. les ravins où se creuse l’entrée béante de leurs grottes funéraires ; par-delà toute cette architecture, toute cette sculpture étrange et colossale, nous ne cesserons d’apercevoir à l’horizon le roc sacré de l’Acropole d’Athènes ; à mesure que nous avancerons dans cette revue du passé, nous le verrons grandir devant nous et monter dans l’azur, avec la blancheur exquise de ses marbres, la sévère élégance de ses portiques et la majesté de ses frontons, où vivent et respirent les dieux d’Homère et de Phidias.

Quand nous aurons franchi le seuil des Propylées et que nous serons allés du Parthénon au temple d’Erechthée et à celui de la Victoire sans ailes ; quand, de cet observatoire, nous aurons regardé s’élever dans la Grèce tout entière des monumens qui, sans égaler peut-être ceux d’Athènes par la pureté des lignes et la finesse de l’exécution, portent pourtant la marque du même style et du même goût ; quand nous aurons vu Praxitèle et Scopas succéder à Phidias et à Polyclète, ne nous en coûtera-t-il pas de nous arracher à l’étude et à l’admiration de tant de merveilles pour reprendre et pour achever ce voyage ? Si nous nous imposons cet effort, si de l’Athènes de Cimon, de Périclès et de Lycurgue, nous nous transportons dans les capitales pompeuses des successeurs d’Alexandre, puis si nous traversons la mer pour visiter Véies et Clusium, pour décrire les cimetières étrusques et la splendeur bizarre de leur décoration ; si nous arrivons enfin dans la Rome impériale, parmi ses édifices gigantesques, ses basiliques, ses thermes et ses amphithéâtres, bien des fois, au milieu de toutes ces somptuosités et de ce luxe grandiose, nous retournerons la tête en arrière, non sans un regret et sans un soupir. Sans doute nous suivrons avec curiosité les changemens que des peuples et des besoins nouveaux feront subir aux formes et aux types créés par la Grèce. La décadence même nous intéressera par les efforts qu’elle tente pour rester fidèle au passé et par les caractères encore voilés, par les indices qui, dans ses œuvres même les plus gauches et les plus barbares, permettent de deviner l’avènement d’un autre art, de l’art chrétien et moderne. Nous essaierons de tout comprendre et de tout juger avec cette largeur de goût qui est l’honneur de la critique contemporaine ; cependant, alors même, nous ne pourrons pas, je le crains, nous défendre toujours de songer avec quelque tristesse à cet idéal de pure et souveraine beauté que nous aurons contemplé jadis ; nous éprouverons par momens comme la nostalgie de la patrie perdue.


GEORGE PERROT.