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travaux intérieurs et dans les programmes de leurs concours, une part toujours plus large à ce genre d’études. Partout on comprenait que les textes des auteurs anciens, lus, commentés, retournés en tout sens, examinés sous toutes leurs faces depuis la renaissance, ne suffisaient plus, malgré toute l’ardeur et l’acharnement des philologues, à fournir beaucoup de résultats nouveaux. Pour pénétrer dans l’intimité du génie antique plus avant que ne l’avaient fait les grands humanistes des trois derniers siècles, il fallait s’engager dans des voies encore presque inexplorées ; il fallait compléter et contrôler le témoignage des écrivains anciens par celui des. inscriptions publiques et privées, gravées sur le bronze, le marbre et la pierre ; il fallait surtout chercher dans l’empreinte laissée sur la matière par la main des hommes d’autrefois l’expression de leurs besoins et de leurs idées, de leurs sentimens et de leurs conceptions religieuses. N’est-il pas, en effet, des peuples, comme les Étrusques, dont toute la littérature a péri et qui ne se révèlent à la postérité que par les monumens de leur art ? D’autres, comme les Grecs et les Latins, nous ont transmis d’admirables monumens littéraires : mais quelle faible part de leur œuvre écrite représentent les ouvrages ou les fragmens d’ouvrages que le temps n’a point détruits ! Des pensées qu’ils avaient confiées à leurs langues immortelles, combien se sont perdues en route avec les bandes légères de papyrus auxquelles en avait été remis le dépôt !

Avec cette ardeur de savoir et cette obstination héroïque qui est une des vertus de notre temps, la curiosité moderne refusait de se résigner à cette perte ; elle s’acharnait à retrouver de l’inédit, elle voulait reprendre à l’oubli tout ce qui n’avait pas péri sans retour, tout ce que l’âme antique avait mis et laissé d’elle-même dans des monumens sur lesquels l’attention ne s’était pas encore portée ou qui n’avaient été qu’imparfaitement compris. Avec les Boeckh et les Borghesi, l’épigraphie classait et faisait valoir ses trésors ; sa méthode s’affermissait et l’on devinait déjà tout ce que lui devrait l’histoire. Quant à l’archéologie figurée, sa tâche était plus complexe et plus lourde. Par elle-même, la langue des formes est moins claire que celle des mots, surtout quand, pour interpréter les idées traduites par des formes, on n’a pas le secours des mots qui ont servi à rendre ces mêmes idées, quand on possède l’art d’un peuple et que l’on a perdu sa littérature. Une autre difficulté, c’était l’abondance même et la variété des matériaux. L’esprit serait comme écrasé par la multitude toujours grossissante des faits accumulés ; il ne saurait plus où se prendre, par où commencer ni comment aboutir, Les arbres, comme on dit, empêcheraient de voir la forêt.