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reconnaître, ils sont le produit d’un art propre à la Grèce, d’un art qui est né avec le premier éveil de son génie plastique et qui s’est éteint, vers le IIe siècle avant notre ère, quand ce génie a cessé d’être vraiment fécond et créateur. D’après l’analogie de ce qui se passe partout ailleurs, on est fondé à croire que, dans chaque siècle, la peinture sur vases, qui rentre dans la catégorie de ce que nous appelons les arts industriels, a docilement suivi les exemples que lui donnaient les peintres d’histoire, comme nous disons aujourd’hui, qu’elle en a reproduit, dans la mesure des ressources dont elle disposait, le style et le goût. En étudiant chaque série de vases à la lumière des jugemens que les anciens ont portés sur les plus célèbres des peintres grecs, on peut donc, par une induction légitime, retrouver ici le style de Polygnote, là celui de Zeuxis, ailleurs celui d’Apelle ou de Protogène ; peut-être même quelques vases nous ont-ils conservé dans les scènes qui les décorent des imitations plus ou moins libres de tableaux de maîtres. Ces rapprochemens, ces conjectures demandent, il est vrai, beaucoup de finesse et de prudence, mais le principe n’en est pas contestable et le profit en est grand. S’il est, en effet, dans le naufrage de l’antiquité, une perte dont les gens de goût aient peine à se consoler, c’est bien l’anéantissement complet de l’œuvre de tous ces grands peintres, que les anciens ne mettaient pas au-dessous de leurs sculpteurs les plus fameux ; qui donc ne se réjouirait à la pensée de pouvoir ressaisir, dans des monumens contemporains de ces vieux maîtres, la trace de leur génie, le reflet affaibli et lointain, mais fidèle encore, de tout un art perdu ?

Les archéologues du siècle dernier n’avaient aucune idée de pareilles recherches et des résultats qu’elles peuvent donner ; la plupart d’entre eux ne soupçonnaient même pas l’intérêt que présentent, pour l’histoire de l’art et de la vie des anciens, tous ces menus ouvrages, vases, bijoux, verres, terres cuites, qui sont aujourd’hui recherchés avec tant de passion et qui commencent à former de si riches séries dans les galeries de l’Europe[1]. Ces objets, d’un usage quotidien, ont été fabriqués en quantité prodigieuse pendant des milliers d’années ; leur nombre même augmentait donc dans une proportion incalculable leurs chances de durée. La violence des hommes aurait beau s’acharner à les détruire et les

  1. Un des premiers antiquaires qui aient soupçonné le profit que l’historien pouvait retirer de l’étude de tous ces menus objets, c’est le comte de Caylus. On consultera toujours avec profit l’ouvrage où il a rassemblé le fruit de toute une longue vie de voyages et d’intelligentes acquisitions qui le conduisaient à d’ingénieuses recherches sur les procédés techniques des anciens, poursuivies dans le cabinet et le laboratoire avec le concours d’hommes spéciaux (Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines, 6 vol. in-4o, 1752-1764. Supplément, 1 vol. in-4o, 1767).