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précieux recueils et qui les communiquent quelquefois, quand ils ne sont pas à la reliure, ou bien en feuilles et dépareillés.

Très difficile par sa nature même, cette étude l’est donc rendue plus encore par toutes les peines qu’il faut prendre pour se procurer des instrumens de travail. On s’explique ainsi que les modernes historiens de l’antiquité soient presque tous restés étrangers à ces recherches. Pour ne parler que de la Grèce, plusieurs érudits contemporains ont essayé de nous en retracer l’histoire depuis les origines jusqu’à la chute de l’indépendance nationale. L’Angleterre, l’Allemagne et la France ont vu naître des livres qui, par des mérites différens, ont conquis et se sont partagé la faveur du public européen. Or, de tous ces écrivains, le seul qui ait étudié sur le vif l’histoire de l’art grec et qui puisse à l’occasion en parler avec goût et avec compétence, c’est Ernest Curtius[1]. Quant à Grote, il n’en a ni la connaissance théorique, ni le sentiment ; à peine quand il ne peut faire autrement, en dit-il quelques mots qui restent toujours vagues et secs. Or la Grèce, sans ses architectes, ses sculpteurs et ses peintres, sans son amour des belles formes, aussi ardent et aussi fécond que son amour du beau langage, la Grèce est-elle encore la Grèce ?

L’embarras est donc grand pour ceux qui, sans avoir le loisir d’entrer dans le détail, désirent pourtant se représenter le monde ancien dans toute la diversité de ses aspects et se faire une juste idée de l’ensemble. On leur raconte tout au long les révolutions, les guerres, les conquêtes, les successions des princes ; on leur explique le mécanisme des institutions politiques et civiles ; on leur expose même l’histoire littéraire, car la littérature, dit-on, « est l’expression de la société. » Rien de mieux ; mais on n’a pas l’air de soupçonner cette autre vérité que l’art n’est pas une expression moins fidèle et moins intéressante du propre génie d’une race, des sentimens, des idées et des goûts qui dominent chez un peuple à tel ou tel moment de sa vie. Quelques brèves mentions d’œuvres et de noms, quelques notions sommaires qui n’ont même pas le mérite de la précision, voilà tout ce que donnent sur cette matière les histoires générales, et ce que celles-ci refusent à la curiosité, où le trouver ? Des histoires de la littérature grecque et de la romaine, l’Europe savante en possède plusieurs qui se recommandent à différens titres ; ce sont des livres écrits avec chaleur et talent, comme l’ouvrage malheureusement inachevé d’Ottfried Muller ; ce sont

  1. Ce beau livre, une des grandes œuvres historiques de notre temps, aurait dû être depuis longtemps traduit en français comme il l’était dans plusieurs autres langues de l’Europe ; M. Bouché-Leclercq vient de combler enfin cette lacune. Nous avons tout lieu d’espérer que les fascicules de la traduction qu’il a entreprise se suivront rapidement.