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Rien ne peut faire que le gouvernement ne se trouve pas engagé dans cette campagne de l’exécution de ses décrets du 29 mars, enchaîné par la logique de cette politique générale de subordination et d’indécision à laquelle il a donné d’irrévocables gages.

Ces décrets du 29 mars, en effet, on les a exécutés, — du moins en partie. On a offert ce spectacle de l’autorité administrative, de la police allant au nom de la raison d’état ouvrir par effraction les portes de quelques religieux, violer des domiciles et des propriétés ; mais ce n’est là évidemment que le début, c’est maintenant en réalité que les difficultés commencent. Déjà un certain nombre de tribunaux ont proclamé leur compétence sur toutes ces questions de propriété et de domicile qui ont été portées devant eux. Dans le corps judiciaire soumis à la plus grave et à la plus délicate des épreuves, nombre de magistrats du parquet, procureurs généraux, procureurs de la république et substituts ont donné leur démission plutôt que de concourir à l’exécution des décrets. Ces démissions se sont même tellement multipliées qu’elles deviennent une manifestation aussi sérieuse qu’imprévue, d’autant plus significative que beaucoup de ces magistrats sont républicains, ont été nommés sous la république. On ne se laissera pas arrêter par ces manifestations, pas plus que par les arrêts de compétence des tribunaux, on ira jusqu’au bout, soit. On remplacera les magistrats démissionnaires et on élèvera des conflits ; on dessaisira la justice ordinaire et on aura recours aux tribunaux administratifs pour trancher des questions de domicile et de propriété, soit encore ! Le gouvernement est entré dans une voie où il ne peut accepter d’être vaincu. Et après ? Voilà d’étranges politiques imprimant à la république tous les caractères de l’arbitraire, occupés à désavouer tous les principes de droit qu’ils ont eux-mêmes soutenus, à remettre en honneur les procédés administratifs qu’ils ont combattus ! Ce qu’on fait aujourd’hui avec des religieux auxquels on applique discrétionnairement des lois contestées, c’est précisément ce que faisait la dictature de 1852, lorsqu’après les décrets de confiscation de la famille d’Orléans elle dessaisissait violemment les tribunaux ordinaires pour se faire justice elle-même, c’est-à-dire pour se donner raison par ses conseils administratifs sévèrement épurés.

On a voulu, d’un autre côté, rehausser ou compléter par l’amnistie cette fête du 14 juillet qui se célèbre aujourd’hui, et de l’amnistie, des amnistiés eux-mêmes, il n’y a plus rien à dire. L’unique question est dans l’incurable incohérence, dans le décousu perpétuel d’une politique commençant par repousser l’amnistie et finissant par la subir, votant ou combattant les mêmes amendemens dans la chambre des députés ou dans le sénat et n’échappant à une défaite que par des subterfuges. L’amnistie a fini par être votée : on avouera bien cependant que tout ce qu’il a fallu pour en arriver là est une singulière preuve de la force avec laquelle cette mesure s’imposait et de l’autorité du gouvernement