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de ses malheurs. Elle se relève par le travail, par la prévoyance, par la sagesse, par le courage, et cette œuvre de réparation elle peut l’accomplir même avec bonne humeur, sans se refuser le plaisir des fêtes publiques. C’est à ceux qui la conduisent de se souvenir et de savoir tout concilier, tout respecter dans leurs programmés. Certes rien de plus émouvant, de plus digne d’un grand pays que cette cérémonie militaire de la distribution dés drapeaux, et rien n’est plus simple aussi que de donner un certain éclat à cette solennité devenue un des attraits d’un jour de réjouissance populaire. Qu’on réfléchisse cependant que, s’il y a de nouveaux drapeaux confiés à une armée qui saura les défendre, nous le savons bien, il y a d’autres drapeaux absens, et cette seule pensée aurait dû suffire peut-être pour qu’on évitât toute confusion entre un acte gravement patriotique et les exubérances un peu banales d’un jour de fête. On en dira ce qu’on voudra, dans ce souvenir des drapeaux absens, dans cette apparition des nouveaux drapeaux promis à un destin inconnu, dans ces contrastes émouvans pour le patriotisme, il y a de quoi réfléchir, il n’y a rien qui rentre dans un programme de réjouissance populaire.

On a voulu relever par un grand spectacle militaire une fête nationale ravivant en quelque sorte dans l’esprit du peuple l’image de la révolution française : soit ; mais alors pourquoi choisir une date qui ne rappelle après tout qu’un incident de guerre intestine ? Pourquoi ne pas adopter de préférence l’anniversaire de l’inauguration de l’assemblée nationale ou l’anniversaire de la glorieuse nuit du 4 août ? Quel intérêt a la république nouvelle à se rattacher à un jour plutôt qu’à un autre jour ? La société française, telle qu’elle existe, est sortie de cette grande et douloureuse convulsion de la fin du dernier siècle ; elle a ses origines dans ces terribles événemens continués sous une autre forme par l’empire. La révolution, dans son ensemble, est la mère de la France moderne ; elle a tellement triomphé, elle est tellement irrévocable, que ceux-là même qui s’efforcent encore de la contester ou de la combattre en subissent les conditions, en recueillent les bienfaits et ne peuvent rien contre elle. Oui, dans son ensemble, la révolution règne par son esprit, par ses résultats désormais acceptés, entrés dans les mœurs, dans l’essence de la vie moderne, et c’est à ce titre qu’elle domine toute la politique. Quand on en vient à préciser des dates, il n’en est pas une seule qui ne rappelle des luttes effroyables où il y a eu des vainqueurs et des vaincus, des victimes et des bourreaux. Il n’y a que ces dates de l’ouverture de l’assemblée nationale et du 4 août qui restent pures dans la mémoire des hommes, intactes dans leur signification généreuse. Toutes les autres, par elles-mêmes, prises distinctement, ne réveillent que des. souvenirs sanglans ou offensans. La nuit du 4 août, dit-on, n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas eu, le 4 juillet, la première des journées sanglantes. C’est se faire une étrange idée de ce grand mouvement humain