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sinon peut-être entièrement résolus, du moins posés comme ils devaient être postas. En matière d’érudition comme en matière de science, il n’y a rien de plus difficile que de bien poser les problèmes. En effet, une fois bien posés, leur solution presque toujours n’est plus qu’une affaire de temps.

Un résultat de ces études sur le bouddhisme, ce fut de ramener vers la littérature et la civilisation chinoises l’attention qui s’en était tout à fait malencontreusement écartée. D’assez nombreux disciples sans doute continuaient la tradition d’Abel Rémusat : il s’en fallait pourtant que les sinologues fussent entourés de la même faveur que les indianistes. M. Mohl, qui lui-même avait débuté comme sinologue, s’est plaint plus d’une fois dans ses Rapports d’une espèce d’indifférence que rien ne justifiait. « On ne comprend pas, disait-il en 1843, qu’on ait pendant si longtemps négligé l’étude de la civilisation chinoise, qui est pour ainsi dire la seconde face de l’humanité, et qui par ses ressemblances autant que par ses contrastes peut nous aider à bien comprendre ce qu’il y a de fortuit et d’accidentel, ce qu’il y a de nécessaire dans les phénomènes moraux et sociaux qui nous entourent. » C’était indiquer en quatre mots, auxquels nous ne saurions rien ajouter, ce qui fait l’incomparable intérêt des études relatives à la Chine. Les événemens politiques de 1842 réveillèrent un peu l’indifférence publique. La Chine entrait pour ainsi dire dans la politique occidentale. Mais au point de vue de l’érudition, les études relatives au bouddhisme contribuèrent peut-être plus encore à une sorte de renaissance des études chinoises. Vouloir étudier le bouddhisme en Chine exclusivement, ce serait vouloir étudier le christianisme en Europe uniquement ; mais vouloir d’autre part l’étudier indépendamment de sa propagation dans l’Empire du milieu, dans ses origines indiennes, et sur le sol de la péninsule, ce serait vouloir étudier le christianisme en Galilée, le mahométisme en Arabie, ce serait détacher la cause de ses effets, l’événement de ses conséquences, le commencement de ses suites. Si les problèmes qui touchent à l’origine même du bouddhisme, à la constitution de son dogme, à la formation de sa discipline, à l’essence de sa morale, ne peuvent être traités que par les documens indiens, les problèmes, d’une importance presque égale, qui touchent à l’histoire de sa diffusion ne sauraient être résolus sans le secours des documens chinois[1].

  1. Comme il ne faut rien oublier de digne d’être mentionné, nous ferons remarquer qu’au lieu d’érudition orientale nous aurions peut-être mieux fait de dire archéologie orientale. Mais l’expression aurait risqué de faire confusion. Bornons-nous donc à constater que nous négligeons de parti-pris tout ce qu’il y aurait à dire sur des études comme les études hindoustanies par exemple, ou comme les études japonaises, qui, n’ayant trait qu’à l’histoire de civilisations relativement récentes, ne présentent pas à notre avis le même genre d’intérêt, qui soulèvent d’ailleurs d’autres problèmes et que l’un traite par conséquent par d’autres méthodes et d’un autre point de vue.