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pourrait tirer comme thème d’inspiration ou comme texte de comparaison. Vers le même temps que ceux-ci cherchaient dans la littérature indienne « les productions qui pouvaient se placer à côté de la littérature classique, » poèmes épiques ou drames dans les règles, ceux-là cultivaient la poésie arabe « par admiration pour une poésie originale, exprimant fortement, dans une forme énergique et quelquefois parfaite, quelques-uns des sentimens communs à l’humanité tout entière. » Ce n’est pas nous certainement qui nierons l’intérêt de ce genre d’études, au contraire ! mais encore faut-il distinguer, et c’est le cas de dire que les méthodes en tout valent selon ceux qui les appliquent. Elles valent aussi selon le sujet auquel on les applique. Or, vers 1830, on n’en était pas à pouvoir appliquer cette méthode aux littératures orientales en général, ni surtout à la littérature sanscrite, puisque c’était décidément celle où l’on se portait en foule, et qui devenait visiblement la capitale de l’orientalisme. Il y avait beaucoup mieux à faire, et tout d’abord à s’assurer l’entière possession de la langue, ce qui n’était pas fait ; après la possession de la langue, la possession de l’histoire ; après la possession de l’histoire, la possession de la psychologie de la race. Aujourd’hui même rien de tout cela n’est peut-être achevé. Comme le disait M. Mohl, « il n’y a donc aucune raison pour que les écoles historique et littéraire soient séparées et ennemies, » si ce n’est, dirons-nous, cette raison proverbiale et vulgaire qu’il ne faut pas vouloir mettre la charrue avant les bœufs.

La constitution de l’enseignement rigoureusement scientifique du sanscrit fut l’œuvre d’Eugène Burnouf. Je suis fâché de le dire, mais on rencontre si rarement un érudit de génie que, quand on le rencontre, on est sans doute excusable de prendre un peu plaisir aie louer. Le nom d’Eugène Burnouf n’a peut-être pas en France toute l’éclatante notoriété qu’il mérite. Beaucoup de gens assurément connaissent le nom de Champollion qui seraient assez embarrassés de dire ce qu’a fait Eugène Burnouf. Les destinées tiendraient-elles donc à la présence d’un obélisque sur la place de la Concorde ou de quelques scarabées dans les vitrines des musées du Louvre ? Et pourtant qui ne sait combien l’histoire de l’Égypte est moins importante pour l’histoire de l’humanité que l’histoire de l’Inde ? Si j’en voulais une preuve, je n’aurais justement qu’à faire observer le peu de place qu’occupent dans les Rapports de M. Mohl les études égyptologiques[1]. Mais la vraie raison, c’est que l’Égypte ne

  1. Aussi ne saurait-on trop s’étonner que, parmi les rapports publiés en 1867, à l’occasion de l’Exposition universelle, sur les Études relatives à l’Égypte et à l’Orient, l’égyptologie s’espace en une soixantaine de pages, tandis que les études relatives à la fois au sanscrit et au zend n’en occupent pas vingt-cinq. La seule raison de ce fait est sans doute que l’égyptologie est restée plus spécialement que l’indianisme une science française.