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la France occupe sa place dans l’histoire des origines des études orientales. La première chaire de sanscrit qui se soit élevée en Europe, c’est la chaire du Collège de France, en 1814, dont le premier titulaire fut M. de Chézy. La chaire de chinois, occupée d’abord par Abel Rémusat, date aussi de cette même année. L’enseignement des deux langues fut inauguré le même jour, et ce fut Silvestre de Sacy qui voulut rendre compte des leçons d’ouverture. Nous n’avons qu’à peine besoin d’ajouter ici le nom de Champollion. Le faisceau des études orientales se trouvait ainsi constitué : trois grandes civilisations, trois grandes littératures, trois grandes races d’hommes, et autour de chacune d’elles tout un cortège de littératures et de civilisations secondaires qu’on allait reconnaître et classer.

Aussi bien, les circonstances décidément favorisaient les études orientales. Guillaume Schlegel, en Allemagne, à l’université de Bonn, fondait l’enseignement du sanscrit. Wilson publiait le premier dictionnaire de la langue. Les rapports politiques devenaient plus fréquens, plus importans, plus intimes avec l’Asie, « une curiosité toute nouvelle se tournait vers les problèmes de l’histoire de la civilisation humaine ; » et il n’était pas enfin jusqu’aux « besoins littéraires de l’école romantique » dont les exigences ne fussent comme un aiguillon de plus à la belle ardeur des orientalistes. M. Mohl a eu raison de noter cette cause parmi toutes les autres. Même quand l’école romantique ne laisserait rien d’entier et de parfait derrière elle ; même quand on croirait, comme nous avons quelque disposition à le croire, que la plupart de ses ambitions réformatrices ont avorté ; même quand on n’aimerait pas beaucoup voir les incarnations de Brahma mises en vers français… ou anglais ; cependant on ne saurait méconnaître le réel secours que des hommes comme Rückert en Allemagne, ou comme Thomas Moore en Angleterre, ont apporté aux études orientales. Et pour la France, on peut dire qu’après toutes restrictions, il resterait ce double titre à l’école romantique d’avoir ; comme les romantiques allemands, ramené sur certaines parties du moyen âge l’attention à laquelle elles avaient droit, et, comme les romantiques anglais, dirigé tout un courant de vives sympathies vers les choses de l’Orient.

Un léger inconvénient toutefois résulta de cette coïncidence, — assez rare, comme on sait, — entre les besoins de la littérature et les curiosités de l’érudition. C’est qu’on étudia quelque temps les littératures orientales beaucoup moins en elles-mêmes et pour elles-mêmes, avec les méthodes spéciales qu’elles réclamaient, qu’avec des méthodes exclusivement littéraires, c’est-à-dire avec plus de souci de la forme que du fond, de l’esthétique que de l’histoire, et, par conséquent, de l’élégance que de l’exactitude, avec moins d’intérêt pour leur valeur intrinsèque et personnelle en quelque sorte, que de préoccupation du parti qu’on en