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pétence qu’il faudrait à la tâche. Mais, guidé précisément par l’un des grands orientalistes de ce temps qui peut-être approchèrent le plus de cette universalité de compétence, en parcourant les deux volumes où l’on a pieusement réuni les rapports annuels que pendant vingt-sept ans M. Mohl a prononcés devant la Société asiatique et qui forment, au témoignage de M. Renan, « la plus parfaite histoire des études orientales vers le milieu de notre siècle, » en y relevant quelques-unes des indications où « ce maître dans l’art du rapport » imprimait plus profondément la marque de son esprit à la fois critique et généralisateur, nous pouvons donner quelque idée de la rapidité du progrès et quelque soupçon de l’importance actuelle des études orientales.

C’est aux Anglais qu’il faut faire honneur d’avoir les premiers déterminé ce que l’on pourrait appeler le programme de l’orientalisme. Il est vrai que, dès la fin du XVIIe siècle, sous la protection de Louis XIV, les jésuites, à la Chine, comprenant admirablement qu’on ne fonde une domination, politique ou religieuse que sur la connaissance entière des sentimens, des idées, et par conséquent de l’histoire et de la langue d’un grand peuple, avaient abordé résolument l’étude de la littérature chinoise. Aujourd’hui même encore leurs travaux ne sont nullement à dédaigner. Mais, outre qu’ils étaient, selon l’expression de M. Mohl, « isolés et comme en dehors du courant de l’érudition, » il est permis de dire qu’ils manquaient un peu de désintéressement scientifique. Ils n’apprenaient pas le chinois pour le plaisir de l’apprendre, ils ne l’apprenaient pas pour la satisfaction de le savoir, ils Rapprenaient pour s’en servir. Et Ils s’en servaient dans un dessein de prosélytisme et d’apologétique le plus louable du monde assurément, à leur point de vue, le plus nuisible d’ailleurs à l’indépendance nécessaire de la science. La meilleure manière de comprendre les livres sacrés de la Chine n’est peut-être pas d’y chercher et d’y vouloir trouver à tout prix « les vestiges d’une tradition primitive » ou u une synthèse presque complète de l’enseignement catholique[1]. » Il est encore vrai que, comme Dupleix avait précédé Clive et soupçonné le premier les meilleurs moyens de conquérir et de coloniser l’Inde, ainsi, tel érudit français, comme Anquetil-Duperron, avait de loin tracé la route aux grands indianistes anglais. Mais comme à Dupleix les moyens matériels et les encouragemens de la métropole, ainsi les moyens critiques d’investigation et les sympathies de l’Europe savante firent défaut à Anquetil-Duperron. La vive intelligence de Voltaire toutefois sembla comprendre ce que l’avenir réservait à l’érudition orientale. — Sous ce rapport, toute question déforme et d’intention mise à part et ne regardant qu’au seul contenu, il est intéressant de faire la comparaison du Discours sur l’histoire universelle avec l’Essai sur

  1. Paul Perny, Grammaire de la langue chinoise orale et écrite, t. II ; Maisonneuve et Leroux, Paris, 1879.