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enfin, la troisième partie, la Macédoine, avec 2,200,000 habitans a été restituée au sultan, c’est-à-dire livrée au désordre, à l’oppression, à la ruine, comme nous allons le montrer bientôt.

Dans quel dessein a-t-on dépecé ainsi un même peuple en trois tronçons, qui nécessairement s’efforceront de se réunir, parce que ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourront vivre et prospérer ? Est-ce pour ne pas sacrifier les musulmans éparpillés parmi la population bulgare ? Mais il n’y en a pas plus au midi qu’au nord des Balkans ; car on en compte 38 0/0 dans la principauté affranchie, 35 0/0 dans la Roumélie orientale, et 40 0/0 dans la Macédoine, il faut noter d’ailleurs qu’un tiers au moins de ces musulmans sont de sang slave, les Pomaks par exemple.

Le congrès de Berlin a-t-ii voulu conserver quelque vie à ce fantôme qu’on décore encore du nom d’empire ottoman ? Si l’on voulait maintenir une Turquie capable de remplir la mission qu’on veut lui imposer, il ne fallait pas anéantir sa flotte à Navarin, ni affranchir successivement la Grèce, la Moldavie et la Vakchie, la Serbie, la Bulgarie, le Monténégro, la Bosnie et l’Herzégovine. La faute de l’Europe date de loin, et il est trop tard maintenant pour qu’elle rétablisse ce qu’elle a détruit.

Comment ! c’est après qu’on lui a enlevé ses plus belles provinces, que la Porte devrait aujourd’hui résister aux revendications de la Grèce, se faire obéir par les Albanais, contenir la Macédoine frémissante, défendre les Dardanelles, et jouer ainsi le rôle de grande puissance, alors que ses caisses sont vides, que ses troupes et ses fonctionnaires ne sont pas payés, et que bientôt le sultan lui-même n’aura plus de quoi subsister ? Ce qu’elle n’a pu faire alors qu’elle était dans toute sa force, elle devrait l’accomplir lorsqu’en réalité elle n’existe plus que de nom ? De cette situation pleine d’impossibilités doit sortir nécessairement le désordre, l’anarchie, la misère des populations, l’impuissance du gouvernement, et enfin la catastrophe finale. La Turquie créée par le traité de Berlin n’est pas née viable. Les faits de chaque jour le démontrent déjà. Mais si l’Europe n’intervient pas énergiquement, avant de succomber, définitivement, elle achèvera de ruiner les provinces qu’on lui a laissées.

Dans un mémoire adressé aux ambassadeurs de l’Europe à Constantinople, en novembre 1878, les Bulgares font bien ressortir l’injustice et les inconvéniens des solutions adoptées à leur égard. « L’unité de la Bulgarie, y est-il dit, devait paraître d’autant plus inviolable que les territoires compris dans les limites de la principauté bulgare créée parle traité de San-Stefano ont été peuplés, de temps immémorial, par dès Bulgares, deux qui voient dans la Bulgarie que