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laconisme, » prix qui devait être décerné à celui qui aurait prononcé « une parole sublime. » Il prétend qu’un peuple vertueux et libre ne peut être qu’agriculteur, « qu’un métier s’accorde mal avec le véritable citoyen. » Tout propriétaire devait rendre compte tous les ans dans les temples de l’emploi de sa fortune.

Quant à l’organisation de la propriété elle-même, il supprime les successions collatérales et le droit de tester ; et il allait jusqu’à la loi agraire : « L’opulence est une infamie. Il ne faut ni riches ni pauvres. » Il faut « donner des terres à tout le monde » et détruire la mendicité par la distribution des biens nationaux. Le domaine public n’était établi que pour « réparer l’infortune des membres du corps social. » Il étendait tellement le nombre des indemnités que ce nombre finissait par comprendre presque tout le monde : par exemple, les soldats mutilés, ceux qui ont nourri leur père et leur mère, ceux qui ont adopté des enfans, ceux qui ont plus de quatre enfans, les vieux époux, les grands hommes et ceux qui se sont sacrifiés pour l’amitié.

Toutes ces conceptions puériles appartiennent, il est vrai, à la pure théorie ; mais il est certain que Saint-Just aurait essayé, s’il eût vécu et gouverné pour longtemps, d’en faire passer le plus possible dans la pratique. C’est lui qui, dans ses discours de ventôse, exprimait et résumait cette maxime, reprise depuis et invoquée par Babeuf : « Le bonheur est une idée neuve. » De quel bonheur s’agissait-il ? « Ce n’est pas celui de Persépolis ; c’est celui de Sparte et d’Athènes ; » c’est « la volupté d’une cabane. » Dans le même discours, il inaugurait contre les oisifs les accusations reprises plus tard par le saint-simonisme : « Obligez, disait-il, tout le monde à faire quelque chose. Quel droit ont dans la patrie ceux qui n’y font rien ? » Il demandait expressément sinon le partage des terres, au moins la confiscation des uns au profit des autres : « Les propriétés des patriotes sont sacrées, disait-il ; mais les biens des conspirateurs sont là pour tous les malheureux ! » Enfin il énonçait cette maxime, qui fut encore un des articles de foi du babouvisme : « Les malheureux sont les puissans de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres. »

Ces maximes ne restèrent pas à l’état de pure théorie. Saint-Just les fit traduire en décrets qui furent votés à l’unanimité par la convention nationale, sans jamais avoir été exécutés[1]. On déclara, par décrets du 8 ventôse, « les propriétés des patriotes inviolables. » On mettait sous séquestre les biens des ennemis de la révolution ; on devait dresser un état des patriotes indigens. Enfin le comité de salut public était invité à faire un rapport sur « les moyens

  1. Ces décrets de ventôse furent plus tard l’objet des revendications de Babeuf et le point de départ de son entreprise.