Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fruits du champ qu’il cultive ? Ne deviennent-ils pas copropriétaires de ce champ par l’avance qu’ils lui font des travaux dont il ne peut se passer ? » Et le même article concluait que « la propriété n’est qu’une règle d’ordre et de convenance. »

Les deux documens de ce temps les plus étendus qui témoignent d’un socialisme quelque peu systématique, quoique encore des plus grossiers sont, d’une part le discours d’Armand (de la Meuse) au club des jacobins, et de l’autre une Instruction contresignée par Fouché et Collot d’Herbois après la prise de Lyon et adressée à tous les comités révolutionnaires[1]. Le discours d’Armand (de la Meuse) pose avec une certaine précision le problème social ; il anticipe sur Babeuf et sur les socialistes modernes. Il ne suffit plus de faire la révolution dans les esprits ; il faut la faire « dans les choses. » — « Libre aux beaux esprits de s’enivrer de liberté et d’égalité. » Il ne s’agit plus d’égalité devant la loi : c’est là « une séduction politique ; » c’est « une égalité mentale » dont le pauvre jouissait tout aussi bien dans l’état de nature. Mieux valait pour lui y rester, disputant sa subsistance dans les forêts ou au bord de la mer[2]. L’orateur laissait en suspens la question de savoir si, en droit naturel, il peut y avoir des propriétaires, et si tous les hommes n’ont pas un droit égal à la terre et à ses productions. Mais, sans résoudre cette question (et l’on voit bien qu’au fond elle est résolue), il reproche aux assemblées républicaines de n’avoir pas marqué les limites du « droit de propriété. » Ce n’était là cependant qu’un discours sans action pratique. Il n’en est pas de même des principes émis ou autorisés par le célèbre Fouché, futur duc d’Otrante, qui, à deux reprises, à Anvers et à Lyon, a ouvert la voie à ce que l’on a appelé depuis la révolution sociale. Voici, par exemple, l’arrêté pris à Anvers, quand il y était à titre de proconsul (2 septembre an II) : « Considérant, disait-il, que l’égalité ne doit pas être une illusion trompeuse, que tous les citoyens doivent avoir un droit égal aux avantages de la société, — arrête : Tous les citoyens inférieurs, les vieillards, les orphelins indigens seront logés, vêtus et nourris aux dépens des riches ; les signes de la misère seront anéantis ; la mendicité et l’oisiveté seront proscrites ; il sera fourni du travail aux citoyens valides. » Cependant, ceux qui cherchent les choses au-dessous du mot verront facilement que, dans cet arrêté, les considérations les plus révolutionnaires ne servent après tout qu’à colorer des mesures très simples et très ordinaires, semblables à celles

  1. Le discours d’Armand (de la Meuse) est rapporté dans le Socialisme pendant la révolution, de M. Amédée Le Faure. L’Instruction se trouve dans les Mémoires pour servir à l’histoire de Lyon, de l’abbé Guillon, t. II, p. 359.
  2. On reconnaît ici les quatre droits naturels de Ch. Fourier : le droit de chasse, de pêche, de cueillette et de pâture.