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quand les sans-culottes souffrent. » Tallien, également, le héros de thermidor, eut aussi son moment de socialisme. Il voulait « l’égalité pleine et entière ; » il proposait « d’ameuter la misère contre le superflu dangereux de l’opulence ; » enfin il demandait qu’on envoyât au fond des cachots les propriétaires, qu’il appelait les voleurs publics, « afin que le peuple pût jouir de l’aisance qu’il avait méritée par son énergie et par ses vertus[1]. » Dans les Révolutions de Paris (n° 81, 82), Loustalot tenait un langage semblable : « Ce sont les pauvres qui ont fait la révolution ; mais ils ne l’ont pas faite à leur profit ; » et il annonçait avant dix ans « une révolution qui aurait pour objet les lois agraires. » Un autre révolutionnaire, Prudhomme (Révolutions de Paris, septembre 1792), détournait les pauvres du pillage en disant que le moment n’était pas encore venu : « Et vous, honorables indigens, disait-il, apprenez que la saison n’est pas venue de frapper l’aristocratie des riches. Un jour viendra, et il n’est pas loin, ce sera le lendemain de nos guerres ; un jour, le niveau de la loi réglera le niveau des fortunes. » Enfin l’hébertisme, condamné pour cause d’athéisme et de démagogie, n’était pas exempt de tendance au communisme, comme on le voit par cet article de la Déclaration des droits, opposée à celle de Robespierre et portée au club des jacobins : « Les sans-culottes reconnaissent que tous les droits dérivent de la nature. Les droits naturels des sans-culottes consistent dans la faculté de se reproduire, de s’habiller et de se nourrir et dans la jouissance et l’usufruit des biens de la terre, notre mère commune[2]. » Dans certains écrits, on voit attaquer le droit à l’oisiveté : « Je pose en principe, dit un membre fort inconnu de la convention nationale, Fr. Dupont, que nul individu dans la république ne doit exister sans travailler. » Le même demandait que « l’oisiveté et l’ignorance fussent déclares des délits » et que tout citoyen fût tenu « d’exercer un art ou une profession. » Dans un journal qui ne passe pas pour trop révolutionnaire, l’Ami des lois, on rencontre la doctrine si chère aux socialistes les plus récens, à savoir que chacun doit être copropriétaire de son produit : « Pourquoi celui qui travaille le fer avec lequel le laboureur ouvre le sein de la terre, celui qui bâtit la maison qu’il habite, celui qui file et tisse la toile et le drap dont il se couvre, n’aurait-il pas droit aux

  1. Tallion, cité par Babeuf, dans la Tribune du peuple, n° 35.
  2. Buchez, t. XXVI, p. 107. On remarquera qu’il y eut alors quatre projets différens de déclarations des droits ; 1° celle de Condorcet et des girondins, qu’on discutait encore lors du 31 mai ; 2° celle de Robespierre, opposée à celle-là et renvoyée au comité de constitution ; 3° celle des hébertistes, dont nous venons de citer un fragment ; 4° celle de 93, qui fut votée, après le 31 mai, et qui est très différente, nous le verrons, de celle de Robespierre et aussi de celle de Condorcet.