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sans doctrine, et inspirées uniquement par la passion et par la haine, non pas précisément contre la propriété, mais contre la richesse, et qui se réduisent toujours à la vieille et éternelle querelle du riche et du pauvre. Rien de plus monotone ; les noms seuls et les circonstances varient, et c’est le nombre de ces documens qui en fait l’importance.

Dès le commencement de la révolution, on voit paraître des pamphlets et des écrits divers d’un caractère menaçant[1]. Dans les Quatre Cris d’un patriote, on demande à quoi peut servir une constitution « pour un peuple de squelettes ; » on demande que l’on force le riche à employer les bras de ses concitoyens que le luxe dévore ; on menace « d’une insurrection terrible et peu éloignée de vingt millions d’indigens sans propriétés. » D’autres pamphlets, par leurs titres seuls, indiquent assez l’esprit qui les anime : le Cahier du quatrième ordre ; le Cahier des pauvres. Dans ce dernier écrit, on demandait que les salaires ne fussent plus calculés d’après les maximes meurtrières d’un luxe effréné ou d’une cupidité insatiable ; que la conservation de l’homme laborieux ne fût pas pour la constitution un objet moins sacré que la propriété du riche ; — qu’aucun homme laborieux et utile ne pût être incertain de sa subsistance dans toute l’étendue du territoire. On cite encore un Catéchisme du genre humain, dénoncé par l’évêque de Clermont au comité des recherches. Il y était dit que « le mariage était la propriété de la femme par l’homme, propriété aussi injuste que celle des terres ; » et l’on y demandait le partage des biens et la communauté des femmes[2].

Parmi les pamphlets de ce genre[3], il en est un curieux et assez piquant intitulé : Je perds mon état, faites-moi vivre. Ce pamphlet contient en apparence la pure doctrine du communisme. Mais nous nous demandons si le vrai sens en est le sens apparent que nous venons d’indiquer, ou s’il n’y faudrait pas voir plutôt un pamphlet royaliste, protestant par une démonstration par l’absurde, et d’une manière ironique, contre les destructions de l’assemblée constituante : « Faites un partage des terres, y est-il dit ; vous m’enlevez ce qui me tenait lieu de propriété ; donnez-moi de la terre. » N’était-ce pas comme si l’on eût dit : Toute atteinte à la propriété va droit au communisme ? « Au lieu d’une terre, j’ai acheté une charge ; la belle raison pour être ruiné ! Je pouvais faire des fagots ; j’ai appris la bijouterie ; donc je dois mourir de faim ! » N’était-ce pas dire qu’en frappant le luxe on frappait la propriété

  1. Voir Levasseur, Histoire des classes ouvrières, t. III, p. 90.
  2. Buchez, Histoire parlementaire de la révolution, t. III, p. 283.
  3. Amédée Le Faure, le Socialisme pendant la révolution. M. Le Faure considère ce pamphlet comme une œuvre socialiste. Nous ne sommes pas de cet avis.