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mouvement devait partir du consistoire siégeant à Paris. Fauchet défendait la franc-maçonnerie contre les épigrammes de Voltaire, qui n’a jamais été cher aux socialistes. Celui-ci avait dit que le mystères des francs-maçons étaient « forts plats. » Il en parlait, dit Fauchet, comme un homme qui n’a jamais rien compris « aux mystères de la nature et de la divinité. » Il s’élevait contre ce qu’il appelait « le despotisme moqueur » de Voltaire, qui d’ailleurs était « un gentilhomme châtelain, homme à grand ton, aristocrate parce qu’il était fort riche. » Ce sont au contraire les mystères du matérialisme qui sont « fort plats » et qui font du genre humain « un troupeau sans âme, » et du monde « une production sans dessein[1]. »

Quelle est cette doctrine des francs-maçons dont Fauchet se fait l’interprète et le défenseur ? Elle ne se présente d’abord dans les premiers discours que sous les apparences les plus innocentes, et même comme une réaction heureuse et légitime contre les fausses idées du XVIIIe siècle sur les origines de la société. La philosophie de ce temps avait nié la sociabilité primitive et naturelle de l’homme et faisait naître la société d’une convention, d’un contrat. C’est la doctrine de Rousseau, et c’était cette doctrine qui servait de thème aux premières discussions du Cercle social et aux discours de l’abbé Fauchet. Il fit voter par le club les propositions suivantes : « L’homme est un homme aimant par nature, fait pour s’associer à ses semblables. — La législation qui contrarie ce penchant est contraire à la nature ; c’est une dissociation plutôt qu’une société. — L’état civil ne doit être que la continuation et la progression de l’état de nature. — Il n’y a pas de passage de la nature à la société. — Toutes les conventions et tous les vrais avantages de l’état civil ne font qu’élever l’homme à la hauteur de la nature. » Ce ne sont pas là de si mauvaises doctrines ; c’est la défense de la vieille définition d’Aristote : L’homme est un animal social. Mais bientôt l’orateur est entraîné sur un terrain plus glissant ; et sa philanthropie tend à se confondre avec ce que nous appelons socialisme, lorsqu’il vient à demander qu’à côté’ des lois en faveur de ceux qui possèdent, les législateurs veuillent bien en faire « en faveur de ceux qui n’ont rien[2]. »

Fauchet nous apprend d’ailleurs qu’il y avait alors deux sortes de francs-maçons. Les uns sont des amis sincères et sûrs de l’humanité ; ils n’aspirent qu’au bonheur d’une régénération universelle

  1. Cette attaque à Voltaire attira à Fauchet de vives réponses. Anacharsis Clootz le défendit dans la Bouche de fer ; Charles Villette répondit dans les Révolutions de Paris.
  2. Le sage Malouet lui-même, dans la constituante, proposait quelque chose de semblable ; il disait aussi que « les lois de ceux qui n’ont rien sont encore à faire. » On voit combien ces idées étaient alors vagues et confuses.