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accusé de complicité avec elle et arrêté avec les vingt-deux girondins. Un témoignage de l’abbé de Lothringer, son compagnon de captivité, nous apprend qu’il se rétracta en prison : « Il se confessa, dit celui-ci, et entendit lui-même Sillery[1] en confession. » Fauchet fut condamné et exécuté avec les girondins le 31 octobre 1793.

En 1791, l’abbé Fauchet était l’un des rédacteurs de la Bouche de fer et le principal orateur du Cercle social. Ce fut là qu’il prononça des discours d’un caractère socialiste très accusé qui furent qualifiés de discours « en faveur de la loi agraire[2]. » Peut-être y avait-il là quelque exagération ; mais l’inspiration générale est évidemment dans ce sens, et M. Louis Blanc, dans son Histoire de la révolution, a eu raison d’y voir une anticipation et un pressentiment du socialisme moderne. Seulement il néglige de faire remarquer que ces discours n’eurent presque aucun retentissement, que la Bouche de fer n’eut pas de succès, que le Cercle social succomba un des premiers, et enfin que Fauchet est un des personnages les plus effacés de la révolution, ce qui réduit à bien peu l’importance de ces discours. C’est donc simplement à titre de documens qu’ils doivent être signalés.

Le but du Cercle social était de former « la fédération universelle du genre humain, » la confédération universelle des amis de la vérité. C’est là que fut prononcé d’abord le mot de fraternité. Il y a sans doute quelque affinité entre cette doctrine et celle d’Anacharsis Clootz, que nous voyons en effet en relation avec le Cercle social[3] ; mais chez le rêveur allemand la doctrine humanitaire prend ou du moins a pris plus tard un caractère révolutionnaire manifeste. Dans l’abbé Fauchet, au contraire, nous avons encore affaire à un socialisme innocent, tel que le christianisme lui-même en a si souvent suscité, tel qu’il était lui-même à son origine. Fauchet parlait au nom des sociétés maçonniques, qu’il appelait, dans un style détestable, « des sociétés vestales, qui ont conservé le feu sacré de la nature sociale. » Il comparait la maçonnerie au christianisme, et l’œuvre nouvelle à l’œuvre chrétienne : illusion qu’ont eue presque tous nos novateurs modernes. Douze hommes ont renversé les temples païens ; c’est à la maçonnerie à détruire la vieille société et à préparer la fédération humaine. Le

  1. Sillery, comte de Genlis, mari de la célèbre Mme de Genlis, était le principal agent du parti d’Orléans. Fauchet lui-même pourrait bien avoir eu quelques accointances avec ce parti. On cite de lui une oraison funèbre du duc d’Orléans, père de Philippe-Égalité.
  2. L’accusation de loi agraire sous la révolution correspondait à l’accusation de socialisme ou de communisme de nos jours. Cette expression de loi agraire a presque complètement disparu de la polémique politique.
  3. La Bouche de fer (10 octobre 1790).