Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soyons, disait-on (1er octobre 1790), ni royalistes, ni aristocrates, ni jacobins, ni quatre-vingt-neuvistes ; soyez francs comme vos pères, et vous serez libres comme eux. » Des prêtres chrétiens se mêlaient très innocemment à ces prédications humanitaires, qui avaient lieu soit au club, soit dans le journal. Un certain abbé Leclerc, curé d’Ambron, faisait allusion à une tradition mystérieuse et à une langue hiéroglyphique commune à tous les peuples. Avant MM. Jean Reynaud et Henri Martin, il parle des druides comme précurseurs de la fraternité moderne. Le journal avait une tendance à la religiosité qui le préservait des préjugés excessifs du XVIIIe siècle. Au lieu de voir dans les fondateurs de religion, comme le faisaient les encyclopédistes, des hypocrites et des ambitieux, on parlait d’eux avec respect, quoique dans un style emphatique : « La majesté, disait-on (4 oct. 90), respire dans les ruines superbes de leurs mystérieuses institutions. » L’habitude des cadres, de la discipline, de la hiérarchie maçonnique, servait de frein à l’esprit de nivellement, bien loin d’y pousser. On protestait contre la destruction de tous les ordres ; on demandait qu’il fût usé de ménagement, et on allait jusqu’à défendre l’ordre de Malte.

Le principal rédacteur du journal, et surtout le principal orateur du club, est un personnage qui s’est fait quelque nom plus tard parmi les girondins et qui est mort avec eux : l’abbé Fauchet. C’est un des personnages secondaires de la révolution, esprit médiocre et sans portée, mais non sans quelque flamme d’éloquence. Il avait plus d’imagination que de bon sens ; mais son imagination est tournée vers le grand et animée d’une véritable philanthropie. Sa vie de prêtre n’avait pas toujours été très régulière, ce qui n’était pas une grande exception de son temps, et il n’en avait pas moins été nommé abbé de Montfort et grand vicaire de Bourges. Il se lança dans les idées de la révolution avec une extrême ardeur et parut même désavouer la foi chrétienne dans un Éloge de Franklin, où il défendait non-seulement la tolérance, mais même l’indifférence en matière de religion. Il fut membre de la commune de Paris, mais à une époque où elle n’avait pas encore le caractère terrible qu’elle eut plus tard. Il accepta et défendit avec passion la constitution civile du clergé et fut nommé évêque constitutionnel du Calvados. Cependant, dans la convention, dont il fut membre, il se rangea du côté du parti modéré. Il se montra des plus courageux dans le procès de Louis XVI. Il refusa de se prononcer « comme juge » dans une question où, disait-il, il n’avait pas qualité. Il vota toutes les mesures dilatoires : l’appel au peuple, la détention, le sursis, et exprima énergiquement son opinion dans le Journal des amis. Quelques mois plus tard, ayant eu par hasard le malheur d’ouvrir à Charlotte Corday les tribunes publiques de la convention, il fut