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il laissa sa parole aller plus loin que sa pensée ou que, par hasard, la prudence dont il avait donné tant de preuves en d’autres occasions lui fit défaut cette fois. Ce fut lui qui répondit à lord Grey : « Si jamais la tâche m’était imposée de former une législature pour une nation, et surtout pour une nation en possession comme celle-ci de richesses de toute sorte, je ne répondrais pas de former quelque chose d’aussi parfait que notre législature, car la nature humaine est incapable d’atteindre une telle perfection ; du moins je voudrais faire quelque chose qui fût capable de produire les mêmes résultats. » C’était patriotique, mais si peu conforme à la situation réelle du pays que la chambre fut saisie d’étonnement. Le duc se rassit au milieu des chuchotemens. « Qu’ya-t-il donc ? demanda-t-il à son collègue du ministère près duquel il était placé. — Ce n’est rien, répondit celui-ci, — lord Lyndhurst sans doute, — vous venez d’annoncer la chute de votre gouvernement ; voilà tout. »

À la chambre des lords, on s’était contenté de murmurer après la déclaration du premier ministre. Dans la chambre des communes, les protestations prirent une forme plus substantielle. « Le dictateur a prétendu, dit un orateur, que le peuple n’avait pas besoin de réforme et qu’il n’en aurait point. Au nom du peuple, je réponds que la réforme est nécessaire et que nous l’aurons. » Le plus clair de la situation est que l’on reprochait à Wellington d’avoir pris dans les affaires politiques une attitude militaire ; c’était pure calomnie ; jamais aucun général ne sut mieux se garder de ce défaut. Ce qu’il y a de vrai dans le fond, c’est que les partis étaient excités les uns contre les autres au point de transformer en prétexte de querelle l’incident le plus insignifiant. On le vit encore quelques jours plus tard. Le 9 novembre, le jour du lord-maire arrivait avec ses fêtes accoutumées. Le roi et la reine avaient daigné consentir à prendre part au dîner de la cité de Londres. Tout se préparait pour la cérémonie traditionnelle de ce grand jour, lorsque le duc reçut avis par voie indirecte que les radicaux avaient l’intention de huer le cortège dont il ferait partie. Wellington pouvait s’exposer dans une bagarre et même s’y exposer sans péril sous la protection d’une escorte suffisante ; il eût été malséant que la dignité du couple royal y fût compromise. Les ministres décidèrent en conseil que le roi n’assisterait pas au banquet du lord-maire. C’était un dimanche ; toute la ville de Londres était en mouvement. La veille, à l’annonce de cette nouvelle, les consolidés avaient encore baissé de II pour 100. Les précautions mêmes que l’on avait prises pour prévenir des troubles semblaient provoquer une révolution. Néanmoins la journée s’écoula sans autre incident que quelques collisions entre la foule et les agens de police. Chacun, ami ou ennemi, convenait que la maladresse commise par le