Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de préjugés contre une politique libérale, et son opinion était d’autant plus formelle dans la circonstance qu’il éprouvait pour la monarchie espagnole, qu’il avait contribué à rétablir, une affection en quelque sorte paternelle. Canning maintint sa proposition ; il menaça de se retirer si le roi ne signait pas. Il l’emporta. Le discours du trône, à l’ouverture de la session de 1825, annonça que la Grande-Bretagne reconnaissait les républiques américaines. Le chef du foreign office avait le droit de s’enorgueillir d’un acte auquel tous les libéraux applaudirent. C’était bien son œuvre, et il ne disait que la vérité dans le célèbre discours qu’il prononça sur ce sujet : « J’ai résolu que, si la France avait l’Espagne, elle aurait l’Espagne sans les colonies. J’ai appelé le nouveau monde à l’existence pour rétablir l’équilibre dans l’ancien. »

C’était une révolution plus grave encore qu’on ne le supposait sur le moment. Toutes les cours européennes sentirent que désormais la Grande-Bretagne prendrait une attitude isolée dans les affaires communes. Il fut évident pour les libéraux de l’intérieur que le cabinet anglais répudiait enfin cette maxime de la sainte-alliance, que ceux qui ont été préposés par Dieu pour gouverner les peuples ont seuls le droit de modifier les lois et les constitutions. Il est inutile d’insister ici sur les incidens qu’amenèrent les événemens de Portugal et d’Orient, car ces affaires furent traitées par le gouvernement anglais suivant les principes que Canning venait de faire prévaloir.


II

On ne s’étonnera pas qu’au jour où lord Liverpool fut frappé tout à coup d’apoplexie, la discorde fût sur le point d’éclater, non-seulement entre les membres du cabinet qui n’avaient jamais su se mettre d’accord sur un programme commun, mais encore entre les divers groupes du parti tory sur lesquels le gouvernement s’appuyait. Les uns, partisans de la sainte-alliance, intéressés à la fortune des propriétaires ruraux, poursuivaient d’une égale haine les révolutionnaires et les libre-échangistes. Wellington, lord Eldon et, sous certaines réserves, Robert Peel, avaient leur confiance ; la force de ce parti résidait dans la chambre des lords. Les autres avouaient leurs sympathies pour les Grecs insurgés et pour les républiques américaines ; ils s’indignaient que les blés exotiques fussent arrêtés dans les entrepôts des ports et le prix du pain surenchéri pour favoriser les cultivateurs et maintenir à un taux élevé le loyer de la terre. Ils reconnaissaient pour chef Canning et Huskisson. En face de ce parti de gouvernement désuni, les whigs ne faisaient pas très bonne figure. Ils n’avaient pas d’orateurs