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avoir en vain prié les deux adversaires de retirer leurs paroles, le président allait être contraint de les livrer l’un et l’autre au sergent d’armes, afin qu’ils fussent détenus aussi longtemps qu’il conviendrait à leurs collègues. Le leader des communes et le chef de l’opposition emprisonnés tous deux pour manque de respect à la chambre dont ils faisaient partie ! Un membre dont le nom mérite d’être conservé, sir Robert Wilson, eut l’adresse de trouver un biais pour sortir de cette étrange situation. Il suggéra que les paroles de Brougham se référaient au caractère officiel de Canning et que la réponse de Canning était due à ce qu’il les avait prises à tort pour une imputation personnelle. « Que les deux adversaires, ajoutait-il, veuillent bien déclarer qu’ils se sont mépris sur le sens des paroles échangées, et le motif de la querelle disparaîtra. » Ils s’y prêtèrent de bonne grâce, charmés de sortir à si bon compte d’une position difficile. Quiconque a lu les Aventures de Pickwick reconnaîtra cette scène. Dickens n’a fait que reproduire une histoire restée légendaire dans les annales du parlement anglais.

Ce qui donnait une importance spéciale aux revendications catholiques, c’était l’Irlande toujours mécontente, toujours agitée, tantôt en détresse par suite d’une récolte insuffisante, tantôt en révolte ouverte contre ses maîtres étrangers. Grattan, Plunkett, avaient été les interprètes éloquens, mais en même temps modérés, de ce mécontentement. O’Connell entrait en scène avec moins de mesure et de sang-froid. Les sociétés secrètes se multipliaient ; en particulier, l’association catholique, dont ce tribun était l’âme, se ramifiait partout sous les auspices des principaux personnages du pays.

Plusieurs années s’écoulèrent en discussions irritantes qui n’aboutissaient à rien ; mais, d’une session à l’autre, la cause libérale gagnait quelques nouveaux défenseurs. Réelle ou affectée, la crainte qu’inspirait l’association catholique nuisait beaucoup aux projets d’émancipation. L’Irlande semblait à la veille d’une guerre civile ; O’Connell invoquait tout haut l’assistance d’un Bolivar pour renouveler dans son île natale les triomphes des colons sud-américains. Enfin le cabinet ne put se dispenser de présenter, au début de la session de 1825, un bill contre les sociétés secrètes irlandaises. On avait tant répété dans les derniers temps que ces sociétés retardaient seules l’émancipation des catholiques, que ceux-ci, ou que du moins leurs avocats dans les deux chambres, jugèrent le moment venu de réclamer en même temps l’abolition des privilèges dont jouissaient les protestans. Une proposition dans ce sens fut bien accueillie par la chambre des communes. Les députés protestans d’Irlande se déclarèrent eux-mêmes disposés à la soutenir. Comme précédemment, cette mesure d’allégement n’allait. pas sans restriction ; la franchise électorale, qui appartenait en