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L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

qui se sont établies entre M. de Manteuffel et l’évêque de Strasbourg (personne, dans la circonstance, n’a prononcé, et pour cause, le nom du patriotique évêque de Metz) ; on a été jusqu’à parler à ce propos de la cessation du Culturkampf, comme si le Culturkampf n’était pas affaire exclusivement prussienne. Les « lois de mai » n’ont jamais été en vigueur en Alsace-Lorraine, où les rapports entre l’église catholique et l’état n’ont pas un instant cessé d’être régis uniquement par la législation concordataire française. Il est assez vraisemblable que M. de Manteuffel, dont l’esprit profondément religieux est connu et qui, comme homme d’état, paraît surtout voir dans le développement de ce même esprit chez le peuple un puissant moyen de discipline, n’aura pas été fâché de faire sentir à Berlin, par son attitude conciliante à l’égard du clergé d’Alsace-Lorraine, combien il désapprouve la politique religieuse de la Prusse, qui, sans réussir à affaiblir l’église ni rien ajouter à la force de l’état, n’a en définitive abouti qu’à créer de gros embarras au gouvernement, en désorganisant un millier de paroisses et une dizaine de diocèses. Cela lui semble mauvais, et c’est ainsi que peuvent s’expliquer les avances qu’il a faites à l’évêque de Strasbourg, en lui permettant de rouvrir des petits séminaires fermés par voie administrative depuis 1874 : le Landesausschuss en avait d’ailleurs unanimement exprimé le vœu. S’il était vrai cependant que le feld-maréchal espérât de cette concession quelque avantage important et durable pour la politique du gouvernement qu’il représente en Alsace-Lorraine, il ne tarderait pas à reconnaître qu’il s’est trompé. Il aurait en tout cas été choisir en la personne de l’évêque de Strasbourg un auxiliaire bien débile, car Mgr Ræss, s’il continue à être vénéré comme prélat, a perdu dans le pays toute influence politique et a lui-même compris qu’il était sage d’y renoncer, depuis sa fameuse déclaration du 18 février 1874, par laquelle il s’est « cru obligé en conscience de dire au Reichstag que les catholiques d’Alsace-Lorraine n’entendent aucunement mettre en question le traité de Francfort, conclu entre deux grandes puissances. » — Son clergé aussi bien que les fidèles se sont refusés à le suivre sur ce terrain, comme l’ont assez prouvé les événemens ultérieurs des six dernières années. Les prêtres alsaciens passent avec raison pour intelligens, et ils prendraient assurément mal leur temps, aujourd’hui où tant de choses ont empiré, s’ils consentaient à se prêter, sur les exhortations de leur évêque, à une évolution favorable à l’Allemagne et à ses plans de germanisation. Ils savent d’avance qu’ils compromettraient inutilement leur autorité et qu’ils ne pourraient qu’échouer dans la tentative d’opérer une pareille conversion, car la population alsacienne n’a jamais admis