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tionnaires possible : or ce sont justement les seules choses que le nouveau régime leur ait libéralement octroyées.

On conçoit à quel point de telles mœurs publiques ont dû déconcerter les manières de voir prussiennes, mais quand M. de Manteuffel aura mieux pénétré le véritable esprit des habitans de la province dont les destinées lui sont maintenant confiées, il reconnaîtra que les Alsaciens ont mille raisons pour repousser un régime qui, en vertu de son principe même, ne peut que fausser, stériliser et détruire un ensemble d’institutions lentement développées chez eux selon les vrais besoins sociaux, aussi bien dans le domaine de l’industrie, de l’agriculture, du commerce et du crédit que dans celui de l’éducation, de l’assistance publique et de la bienfaisance privée. Le statthalter a fait voir, dès les premiers jours, qu’il est personnellement animé des meilleures intentions et tout à fait digne de toutes les sympathies, mais il doit lui-même commencer à douter de réussir à en conquérir beaucoup à l’empire germanique et à décider les Alsaciens à devenir des Allemands par persuasion. On se défiera de son renom de diplomate et de la séduction même qu’il exerce sur tous ceux qui l’approchent. Quand naguère les conseillers généraux de Lorraine refusaient de s’asseoir à sa table, ils pratiquaient d’instinct cette maxime de La Rochefoucauld : « Il suffit quelquefois d’être grossier pour n’être pas trompé par un habile homme. » Non pas assurément que M. de Manteuffel entende tromper personne : il ne veut que gagner les cœurs, mais comment arriver jusqu’à eux si les corps lui échappent ? Il ne convertira que les convertis, et de ceux-là il a toutes raisons de n’avoir point souci. Il a eu le bon goût de ne pas chercher, comme son prédécesseur, un appui dans le parti autonomiste, et nous ne songerons même pas à lui en faire un mérite, car cela prouve simplement, ce qu’on savait, qu’il a la platitude et la vulgarité en horreur et qu’il a été tout de suite fixé sur le compte de ce groupe qui, sans racines sérieuses dans le pays, avait pris l’habitude de s’agiter et de se démener à la façon d’une armée de cirque, pour faire croire qu’il forme des légions. L’empereur, à la seconde visite qu’il a faite en Alsace-Lorraine, n’avait pu cacher son déplaisir et son dépit de voir reparaître toujours en sa présence, comme représentante des « masses, » la même douzaine de figures ; l’arrivée de M. de Manteuffel a suffi pour intimider ce petit monde et lui rabaisser le caquet.

Serait-il vrai, comme on l’a dit récemment, que le feld-maréchal ait conçu la pensée de prendre le terrain religieux comme base d’opération, dans l’accomplissement de sa mission de conquête morale, et que ses efforts tendraient surtout à réconcilier la population catholique avec le nouveau régime ? En Allemagne comme en France, on a voulu en trouver la preuve dans les bonnes relations