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par avoir raison. Leur mérite est d’être demeurés assez patiens, assez maîtres d’eux-mêmes, assez fermes dans leurs convictions pour laisser à l’heure de la raison le temps de venir, et certains signes indiquent que cette heure n’est peut-être plus loin.

Il nous répugne de mêler la Providence aux choses peu édifiantes dont nous sommes depuis si longtemps les témoins et où les mobiles humains les moins avouables ont tenu tant de place ; mais, s’il est permis de reconnaître son intervention quelque part, n’est-ce pas bien plutôt dans le tour inattendu que les événemens ont pris depuis la guerre que dans le succès éphémère d’une entreprise violente machinée de longue main contre un adversaire trop confiant ? Ne semble-t-il pas à M. de Manteuffel que les desseins d’en haut se soient étrangement éclairés depuis neuf ans, et qu’il apparaisse plus distinctement chaque jour que les voies des Hohenzollern ne sont pas toujours, quoi qu’ils disent, celles de Dieu ! Le beau thème à sermons pour des prédicateurs de cour, et comme le pasteur Adolphe Stœcker ferait mieux de le méditer que de déclamer contre la race d’Israël, au nom de l’empire germano-chrétien de ses rêves !

Puisque les Allemands ont tant de goût pour le rétrospectif, et qu’au demeurant les amertumes et les désillusions de l’heure présente semblent les inviter à faire des retours sur eux-mêmes et sur le passé, qu’ils méditent les croisades. Alors, comme il y a dix ans, l’Europe vit se dresser des soldats de Dieu, allant, en justiciers, faire sentir la force de leurs bras et leur influence civilisatrice à une race mécréante. Qu’advint-il pourtant ? L’Islam, soumis à tant de rudes assauts, en mourut si peu qu’il n’a pas cessé de donner, depuis lors, de la tablature à la diplomatie, tandis que papes, empereurs, rois, seigneurs et vassaux ne rapportèrent qu’affaiblissement, corruption et ruine de cet Orient, où ils avaient été quérir gloire, domination et profits. Ce qui en résulta est bien connu : il n’est pas d’élève de troisième qui n’ait eu, en son temps, à disserter sur cette matière, et la docte Allemagne en sait assurément là-dessus tout aussi long que nous. Les seigneurs, à court d’argent, durent vendre leurs terres, lambeaux par lambeaux, et se mettre à la merci des prêteurs et des trafiquans ; la féodalité en reçut ses premiers coups, et les rois de France qui, plus que les autres monarques, firent souvent preuve de ce bon sens qui est la marque des esprits vraiment politiques, renonçant à leur ligue avec une noblesse déclinante pour prendre désormais le parti du peuple contre les grands, du village contre le manoir, faisaient faire à l’unité nationale ce premier pas que maintes monarchies, en Europe, ont encore à franchir. Des velléités d’oppression et de domination, dont s’étaient grisés pendant tout un siècle les puissans