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autrichien et allemand, une supériorité effective sur les autres puissances, dont les dépenses de guerre sont soumises à un vote annuel, qu’il est en conséquence facile de surveiller. Bien plus, la disposition nouvelle introduite dans la loi allemande au sujet des exercices annuels des hommes de la réserve aurait permis à l’Allemagne, par un artifice inspiré des traditions fondées par Scharnhorst, Gneisenau et le baron de Stein, d’accroître d’année en année, par les moyens les plus économiques, les forces utiles de son armée, sans enfreindre la lettre de la convention de désarmement.

Si cette combinaison profonde, qui a été sur le point d’aboutir en avril dernier, avait réussi, le pangermanisme aurait eu libre carrière, de Flessingue au Saint-Gothard et à la Leitha, sans avoir à redouter aucune intervention gênante, et le jour où l’Europe, se sentant devenir cosaque à ce régime qui l’eût retenue désarmée et impuissante sous l’œil de M. de Bismarck et en face de l’envahissement allemand, aurait voulu dire son mot et rompre le traité, elle se fût sans doute aperçue qu’elle se ravisait trop tard pour soustraire la Belgique, la Hollande, la Suisse et les provinces allemandes de l’Autriche aux conséquences de l’infiltration germanique. Quant à l’Alsace-Lorraine, privée de l’espoir de délivrance qui l’a soutenue jusqu’ici dans sa foi en des temps meilleurs, elle n’aurait plus eu pour ressource que de se plier définitivement à sa destinée, et l’Allemagne, pour témoigner à M. de Bismarck sa reconnaissance de l’avoir allégée du poids des dépenses militaires qui l’écrase, eût été trop heureuse de lui donner carte blanche pour dépecer à sa guise le « pays d’empire » et rayer jusqu’au nom d’Alsace-Lorraine du catalogue des questions européennes.

Le programme était vraiment beau, car il ne tendait à rien moins qu’à retourner de la façon la plus inattendue, au profit exclusif de l’Allemagne, une situation presque désespérée maintenant et à préparer un splendide couronnement à l’œuvre impériale. Il a malheureusement suffi d’une lubie des électeurs anglais pour faire crouler du jour au lendemain tout l’échafaudage, et le prince de Hohenlohe, que M. de Bismarck avait rappelé tout exprès de Paris pour lui céder le contre-seing dans cette circonstance, tandis que lui-même se proposait d’aller se reposer dans ses terres, afin de mieux tromper la France sur le caractère de la proposition et lui rendre plus difficile un refus, doit se demander aujourd’hui si c’est pour l’envoyer échouer sur les îles Samoa qu’on l’a fait revenir « temporairement » de la rue de Lille à la Wilhelmsstrasse.

Ainsi s’illumine d’une singulière clarté toute la politique allemande des derniers six mois, depuis l’étrange bonne humeur de Vienne jusqu’à l’effarement non moins étrange qui a été la suite immédiate des élections anglaises. Il semble, à voir le désarroi