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l’assemblée à user largement de cette prérogative. De son côté, M. de Manteuffel a bien voulu lui rappeler ce que M. de Bismarck avait déjà dit, en 1871, du prétendu privilège de l’Allemagne de pouvoir assurer aux siens plus d’indépendance et de libertés réelles qu’aucun autre pays. Il fut peut-être un temps où cela était vrai, mais il nous semble que la fondation de l’empire a nui quelque peu dans la pratique à cette donnée désormais perdue comme tant d’autres choses dans les régions sereines des souvenirs. En tout cas, l’Alsace-Lorraine ne saurait aspirer, sous ce rapport, à devenir l’égale de l’heureuse Bavière, qui, entre autres libertés, a réussi, non sans peine il est vrai, à conserver celle de maintenir la chenille nationale sur le casque de ses troupes, ni du Wurtemberg et du grand-duché de Bade qui, eux aussi, jouissent de quelques « droits réservés, » ni même d’aucun des autres états confédérés, auxquels a été laissée, dans le règlement de leurs affaires intérieures, quelque ombre d’indépendance, que la charge annuelle toujours croissante des contributions matriculaires réduit d’ailleurs, en fait, à bien peu de chose. L’Alsace-Lorraine, n’étant pas un état, n’a politiquement aucun droit ; c’est un territoire indivis, administré par des fonctionnaires de l’empire, ou mieux un champ d’essai sur lequel la Prusse introduit et expérimente à sa guise les institutions et les lois qu’elle se propose de généraliser et « d’impérialiser » plus tard. On a vu en quoi consiste, dans la réalité, l’autonomie laissée aux Alsaciens-Lorrains. En législation comme en administration, tous les points stratégiques ont été solidement occupés, et le Landesausschuss se heurtera à des obstacles insurmontables toutes les fois que, désireux d’user, comme on l’y encourage, de son droit d’initiative et jaloux de se faire l’interprète de l’opinion publique, il voudra tenter de replacer l’Alsace-Lorraine sous un régime légal tolérable. À tout instant, il devra reculer devant les chausse-trapes habilement semées sur son chemin par des lois impériales qui le rappelleront au juste sentiment de son impuissance. Il lui sera bien permis d’émettre respectueusement des vœux dont les statisticiens de l’assemblée prendront plaisir à tenir catalogue exact, mais c’est à cela que se bornera le fruit de ses efforts dans toutes les questions où les intérêts généraux du pays sont le plus gravement lésés par le régime allemand.

C’est en vain, par exemple, que le Landesausschuss s’efforcera, comme il vient déjà de l’essayer, de rendre un peu plus supportable la dure condition imposée aux optans et à leurs familles par un gouvernement qui n’a pas dédaigné de faire du mal du pays un des principaux auxiliaires de sa politique : l’article 11 de la loi militaire du 2 mai 1874, spécialement rédigé en vue de faire échec à l’émigration alsacienne-lorraine, empêche par avance toute con-