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L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

collective du Landesausschuss ; constatons dès à présent que, sous le rapport administratif, le changement de régime n’a pas amené avec lui l’ombre de véritable autonomie.

L’autonomie administrative suppose et exige en effet tout d’abord que la majorité des fonctionnaires soient originaires du pays, comme il arrivait en fait sous l’administration française, qui se prête en général volontiers au désir de ses agens de remplir de préférence leurs fonctions dans leur province, leur département ou même leur localité d’origine. Dans ce sens, on peut dire que l’Alsace-Lorraine était, il y a dix ans, vraiment administrée par elle-même, et cette circonstance n’a pas peu contribué, au moment de l’invasion de cette province, à la rapide désorganisation de tous les services, car presque chaque fonctionnaire, si haut placé ou si humble qu’il fût, se trouvait doublé d’un patriote, dont la Prusse, a vainement sollicité et marchandé le concours. Bien peu d’entre eux se sont laissé séduire par les offres tentantes que le vainqueur leur fit, car il n’est bientôt devenu que trop évident qu’elles ne lui étaient inspirées que par le désir de se donner le temps d’organiser son administration à lui ; les rares Alsaciens-Lorrains qui ont accepté ses avances, soit par convenance personnelle, soit dans la persuasion de servir ainsi les vrais intérêts de leur province, se sont vus insensiblement refoulés dans des emplois humilians pour leur patriotisme ou leur dignité, et la position pénible, quoique dorée, qui leur fut faite dès l’abord, n’était pas de nature à susciter beaucoup d’imitateurs. Aussi, l’une des formules favorites des autonomistes : « le gouvernement par le pays » a-t-elle échoué surtout devant le bon sens alsacien. — Il fallait être, en vérité, bien aveugle et singulièrement ignorant des exigences traditionnelles de la bureaucratie prussienne, surtout en pays conquis, pour avoir pu supposer un seul instant, comme quelques autonomistes semblent encore s’obstiner à le faire, que, si les Alsaciens-Lorrains n’avaient pas inconsidérément refusé leur concours, il leur aurait été aisé d’obtenir la constitution d’une sorte d’administration « à la papa » dont ils eussent conservé eux-mêmes la libre direction. C’était caresser de bien naïves illusions et prouver qu’on ne connaissait rien du fonctionnement en quelque sorte fatal du système prussien.

Dans le jeu de ce système, la machine bureaucratique est un organisme tout aussi essentiel, aussi un et aussi rigoureusement agencé que l’armée, dont elle forme le complément nécessaire : ce que l’une conquiert, l’autre a pour tâche de le broyer, de le pétrir et de l’assimiler. Au temps jadis, les chevaliers de l’ordre teutonique et les frères porte-glaive, qui ont arraché la Prusse à la barbarie et à l’idolâtrie païenne où elle s’est attardée jusqu’en plein XIVe siècle, remplissaient à la fois cette double