Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
REVUE DES DEUX MONDES.

dont les résolutions étaient dictées de trop loin pour être toujours sages, opportunes et suffisamment promptes. M. de Mœller, qui, jusqu’au mois d’octobre dernier, a rempli, non sans mérite, pendant près de huit années, les hautes et ingrates fonctions de président supérieur de l’Alsace-Lorraine, n’avait pas une autorité personnelle assez grande pour avoir osé secouer, autant qu’il l’eût fallu, la gênante tutelle sous laquelle le tenait une bureaucratie directement inspirée par M. de Bismarck. Il y avait pourtant nécessité administrative et urgence à modifier cet état de choses en transférant dans le pays même les autorités véritablement dirigeantes ; mais pour réaliser cette réforme, que le gouvernement avait tous motifs de désirer et de poursuivre, il fallait d’abord trouver un personnage assez haut placé dans la hiérarchie et dans l’opinion publique pour que l’empereur pût l’investir des attributions d’un chef suprême, chargé de représenter en Alsace-Lorraine le principe souverain. Les autonomistes, que M. de Bismarck voyait avec plaisir prendre l’affaire à cœur et auxquels il laissait croire que c’était l’avènement du régime de leurs rêves qu’il s’agissait de hâter, osèrent élever leurs regards jusqu’au pied du trône impérial et demander qu’on leur donnât pour vice-roi le prince héritier en personne ; mais l’attentat de Nobiling et la régence qui en fut la suite vinrent trop tôt leur montrer ce que leur féale ambition avait de chimérique. M. de Bismarck se chargea de suggérer une solution plus pratique en proposant à l’empereur la combinaison qui a été en définitive adoptée ; nous verrons plus loin ce que le choix de la personne de M. de Manteuffel a eu de profondément politique dans la pensée du chancelier impérial.

Ce point réglé, rien ne s’opposait plus à la translation à Strasbourg de l’ensemble des services jusqu’alors concentrés à Berlin entre les mains de M. Herzog, directeur des affaires alsaciennes à la chancellerie de l’empire et qui est maintenant devenu ministre d’état en résidence en Alsace-Lorraine. Supprimer les 800 et quelques kilomètres que les moindres affaires avaient à parcourir plusieurs fois avant d’aboutir fut l’idée dominante de l’organisation nouvelle ; le reste n’a été que détails et changemens d’étiquettes. Sans la complicité naïve des autonomistes, le gouvernement allemand n’aurait peut-être pas encore osé réaliser une aussi importante réforme qui, sous des apparences de décentralisation, fortifie considérablement sa propre action, en lui permettant désormais d’imprimer à la machine administrative une marche plus régulière et plus suivie. À son point de vue, le progrès est manifeste ; on n’en saurait dire autant si l’on envisage les intérêts de l’Alsace-Lorraine. — J’aurai à indiquer plus tard à quoi se réduiront dans la pratique l’action personnelle de M. de Manteuffel et l’action