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régulariser les faits de langage, pour constater la valeur des mots, pour dresser leur acte de naissance ou leur acte de décès. Ce n’est pas un réformateur, un promoteur d’idées nouvelles, non, il fut, comme Conrart[1], son ami, probablement aussi son bienfaiteur, une sorte de greffier, de secrétaire de la langue. Il faut lire maintenant dans l’Introduction si sobre et si ferme de M. Chassang comment le grammairien comprit sa tâche, quelle fut sa doctrine (car il a une doctrine), en quoi il a mérité les éloges et les critiques des contemporains et de la postérité.

Vaugelas prend l’usage pour maître, en cela il est inattaquable ; mais c’est un usage particulier, celui de la cour, des honnêtes gens : le peuple n’existe pas pour lui. « Au reste, quand je parle du bon usage, j’entends parler aussi du bel usage, ne mettant point de différence en cecy, entre le bon et le beau ; car ces remarques ne sont pas comme un dictionnaire qui reçoit toutes sortes de mots, pourvu qu’ils soient françois, encore qu’ils ne soient pas du bel usage, et qu’au contraire ils soient bas et de la lie du peuple. » (T. Ier, p. 25.) Nous sommes loin des crocheteurs du port au Foin auxquels Malherbe renvoyait brusquement ses disciples. Vaugelas n’est cependant pas un puriste, un partisan du raffinage ; mais il incline trop au style noble. C’est par là qu’il est attaquable et qu’il a été attaqué ; c’est cette tendance naturellement qu’ont exagérée les Philamintes et les Bélises. D’où vient cependant cet engouement pour Vaugelas en 1672 ? C’est qu’en 1647 les Remarques ont frappé tout le monde par leur justesse. En effet, l’œuvre du grammairien existe, elle est réelle, et son influence sur la langue et l’orthographe est considérable : Sainte-Beuve en fait un fourrier de Racine. Sans doute il se trompe souvent dans la pratique, il s’appuie sur de faibles autorités en jurant par le cardinal du Perron et son M. Coeffeteau, évêque de Marseille ; il prend à tort quelquefois le ton de l’oracle ; mais que de fois aussi il voit juste ! Que de fois même il devine juste ! Non, impossible de taxer avec Ménage « de haute impertinence »

Qu’un étranger et Savoyard
Fasse le procès à Ronsard ;


le goût de la pureté et de la correction semble avoir été toujours dominant dans ce petit pli de terrain aujourd’hui français.

En parcourant les deux volumes que M. Chassang offre au public, on se plaît à voir le grammairien épier, peser, expliquer, le sens exact des locutions et des mots, et parfois comme tirer leur horoscope ; il ne nous

  1. C’est la vraie orthographe du nom, et non Conrard ; que M. Chassang nous permette cette petite rectification.