Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Claude Favre, baron de Péroges, sieur de Vaugelas, né à Meximieux, petite ville de l’ancienne Bresse, le 6 janvier 1685, était le deuxième fils du président Antoine Favre, l’ami de François de Sales. Voici son portrait d’après Pellisson. « C’était un homme, dit-il dans son Histoire de l’Académie, agréable, bien fait de corps et d’esprit, de belle taille ; il avait les yeux et les cheveux noirs, le visage bien rempli et coloré. Il était fort dévot, civil et respectueux jusqu’à l’excès, particulièrement envers les dames. Il craignait toujours d’offenser quelqu’un. » Des autres renseignemens que nous avons sur Vaugelas, il faut conclure que c’était un honnête homme, comme l’entendait le XVIIe siècle, consciencieux, travailleur obstiné, écrivain exact et non sans esprit. Jadis son père avait obtenu pour lui une pension de 2,000 livres ; mais la pension fut supprimée, puis rétablie par Richelieu, et toujours fort inexactement payée. Aussi Vaugelas fut-il toute sa vie criblé de dettes. Il ne savait pas demander : il savait cependant bien remercier. On ne rappellera jamais assez sa douce et fine réponse au cardinal de Richelieu, qui, en lui rétablissant sa pension, ajoutait : « Eh bien ! vous n’oublierez pas dans le Dictionnaire (de l’Académie, dont la rédaction était confiée à Vaugelas), le mot de pension. — Non, monseigneur, répondit le grammairien -gentilhomme et moins encore celui de reconnaissance. » Néanmoins Vaugelas vit et meurt pauvre, alors que le terrible cardinal, qui battait Cavoye, le capitaine de ses gardes, était généreux autant qu’Henri IV était ladre. Timide et crédule, voilà l’homme ! Tout autre est l’écrivain.

Les grammairiens ont une place dans l’histoire de la littérature française ; celle de Vaugelas notamment y est bien marquée. Il vint à son heure. Les Remarques sont de 1647 ; c’est l’époque où tous les lettrés se portent vers l’étude de la langue. Après le XVIe siècle, qui roule pêle-mêle l’or et la boue, un travail d’épuration est nécessaire. Malherbe commence, tout le monde suit. Ce n’est pas seulement dans la « chambre bleue » de l’incomparable Arthénice, c’est dans vingt salons qu’on s’applique à rendre sa pensée dans les meilleurs termes. Il y eut alors les vraies précieuses ; il y eut aussi plus tard, mais plus tard seulement, après Vaugelas, les précieuses ridicules, ces dernières surtout, après 1648, date où finit l’hôtel de Rambouillet. L’Académie, qui, sous la protection de Richelieu, s’était constituée en compagnie officielle pour « nettoyer la langue des ordures qu’elle avait contractées, » était à la tête de ce mouvement de réformation. Elle chargea Vaugelas de travailler à son Dictionnaire ; en même temps, il écrivit ses Remarques. Que devaient-elles être ?

Correct dans son langage comme dans sa tenue, habitué du fameux hôtel, ami de Patru et de Conrart, « vieilly dans la cour, » modeste, patient sans être décisif, Vaugelas était fait non pour régler, mais pour