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se préoccupent de ces déviations, de ces confusions croissantes de la politique n’hésitent pas à affirmer leurs opinions, à se concerter dans l’intérêt de la sécurité du pays aussi bien que des garanties libérales sans lesquelles la république ne serait qu’une honteuse dérision, Oh ! sans doute, nous le savons bien, les modérés, tout le monde en fait grand cas et les caresse au besoin. M. le président du conseil leur adressait l’autre jour les plus touchans appels et allait jusqu’à leur présenter l’amnistie sous la forme séduisante d’une mesure conservatrice : il tenait absolument à leur appui. M. Gambetta lui-même ne dédaignait de flatter le centre gauche de la chambre et de déclarer qu’il savait « ce que valent, aux heures de péril, les hommes modérés et fermes. » Il ne craignait pas d’avouer que ces « hommes modérés » avaient singulièrement aidé à rendre la république nouvelle possible et qu’il y aurait une, « noire ingratitude » à l’oublier. Oui, assurément, les modérés, on les flatte quand on croit avoir besoin d’eux, et au besoin on ne demande pas mieux que de leur faire leur place, une petite place dans la république ; mais à quelle condition veut-on de leur alliance et consent-on à les ménager ? Tout simplement à la condition qu’ils abdiquent, qu’ils suivent le mot d’ordre à la condition qu’ils votent l’amnistie si on veut la leur imposer, et qu’ils se prêtent à voter l’article 7 ou à approuver les décrets du 29 mars si on veut faire la « guerre au cléricalisme. » S’ils ont par hasard la prétention de garder l’indépendance de leurs opinions, s’ils essaient de résister aux emportemens de parti, aux épurations à outrance, aux violences d’irréligion, oh ! alors ils ne comptent plus, ils sont traités en ennemis. Alors le sénat n’est plus une assemblée de sages, on le menace de marcher sur lui ou de le livrer au radicalisme jacobin. Les modérés ne sont plus que des cléricaux, — ou des « orléanistes, » c’est, à ce qu’il paraît, la dernière injure. Eh bien, c’est là une situation équivoque avec laquelle tous les modérés prévoyans doivent désirer en finir. Ils ont pu se prêter jusqu’ici à bien des transactions pour laisser subsister cette apparence trompeuse d’une alliance de tous les groupes républicains. Le moment est venu où ils doivent accepter la responsabilité d’une action indépendante. Ils seront une minorité, des dissidens, des isolés, dirait-on. C’est possible. Ils resteront dans le parlement et partout des hommes de raison défendant les conditions de l’ordre, des libéraux défendant pour tous les garanties de liberté, et un terrain où ils peuvent s’établir est tout indiqué : c’est celui de la constitution même, où peuvent se rencontrer tous les esprits sensés, prévoyans, patriotiques, défendant ensemble la paix, la France et tout ce qui peut en définitive rendre la république possible.

Il est des spectacles qu’il faut parfois se donner, ne fût-ce que pour échapper un instant au tourbillon des incidens éphémères, des vanités bruyantes et des importances factices. Le plus rare, le plus fortifiant de