Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est tout cela qui est en jeu dans ces cruels conflits qui commencent à peine, dont il serait difficile de prévoir et de calculer les suites.

Qu’en sera-t-il en effet ? Il est certain jusqu’ici que les congrégations de toute sorte ont refusé de se prêter au rôle de subordination qu’on leur offrait ; elles n’ont rien demandé, elles ont attendu en silence, et, le 29 juin est déjà passé ! Le gouvernement se trouve désormais fatalement conduit à cette extrémité qu’il aurait voulu éviter, nous le croyons bien, qu’il s’est gratuitement, imprudemment créée, — où il est obligé d’agir. Le jour qui vient de se lever a vu commencer partout, à Paris comme en province, l’exécution des décrets du 29 mars, et voilà la singulière campagne qui s’ouvre sous le pavillon de la modération de M. le président du conseil ! On fait la guerre aux moines, on va surprendre de paisibles religieux dans leurs cellules. On sera obligé de forcer quelques portes, de procéder par des sommations de police, d’escorter peut-être quelques prêtres. Ce sont des spectacles qu’on croyait ne plus revoir ! Tout se passera sans désordre matériel, c’est vraisemblable, il faut l’espérer. L’ébranlement moral n’est pas moins profond, les difficultés qui commencent ne sont pas moins sérieuses, et dès le début on peut s’en apercevoir par les démissions nombreuses de magistrats du parquet qui, à Versailles, à Douai, à Lyon, dans beaucoup d’autres villes, refusent de s’associer à cette triste campagne. Le gouvernement n’en est qu’au premier jour de l’exécution de ses décrets, et déjà, s’il garde quelque sang-froid, quelque prévoyance, il ne peut plus s’y méprendre ; il peut voir les sentimens qu’il blesse, les parties de la population qu’il s’aliène, comme aussi les instincts révolutionnaires qu’il soulève, qui lui offrent leur malfaisant concours. Ce n’est rien que quelques religieux qu’on expulse, quelques couvens qu’on ferme, une église où l’on met les scellés par la main de la police. C’est beaucoup lorsque la conscience publique commence à se sentir remuée, et lorsque, dans ces crises dangereuses, le gouvernement apparaît plus ou moins comme l’allié, le complice ou l’exécuteur des plus mauvaises passions qu’il met en mouvement. Le ministère peut mesurer le chemin qu’il a parcouru depuis six mois et s’il est tenté encore de parler de ses bonnes intentions ou de ses embarras, il n’y a qu’une chose à dire : c’est qu’il s’est créé lui-même ces embarras en subissant toutes les conditions, en laissant s’aggraver une situation où, de faiblesse en faiblesse, il en vient à mettre toute sa politique dans l’exécution des décrets du 29 mars et dans l’amnistie.

Que cette situation soit arrivée par degrés depuis quelque temps à être assez sérieuse pour inspirer des inquiétudes, pour donner tout au moins à réfléchir, ce n’est point douteux. Nous ne voulons pas dire qu’elle est irréparablement compromise, qu’elle ne peut plus être redressée : elle est assez grave pour que tous les esprits modérés qui