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esprits. On disait déjà tout haut, au sein des sociétés secrètes, que tous les moyens, même les moyens violens, sont bons pour résister à l’oppression et pour obtenir la réforme du parlement. L’agitation s’accentuait surtout dans les grandes villes. Se voyant empêchées de tenir des réunions publiques, les sociétés secrètes de Manchester résolurent d’envoyer une immense députation à Londres, députation de pauvres gens à qui les meneurs persuadèrent qu’il fallait que chacun emportât sa couverture afin de camper au milieu des champs. Des députations de toutes les grandes villes du Nord devaient se joindre à celle de Manchester ; avant d’arriver à Londres, ils seraient si nombreux que l’armée et la police n’oseraient leur faire obstacle. Cette manifestation pitoyable a été appelée la marche des blanketeers ; ils partirent douze milieu disent les uns, quatre mille seulement disent les autres. À chaque pas, le nombre en diminuait, loin de s’accroître. Des patrouilles enlevèrent les plus bruyans ; les timides se dérobèrent. Quelques centaines allèrent jusqu’à Macclesfield. Épuisés, sans argent, sans pain, ils n’excitaient plus que la pitié ; ils se trouvèrent heureux de rencontrer de bonnes âmes qui les secoururent.

Y eut-il vainement un plan général d’insurrection ? C’est possible, mais la preuve n’en fut faite que par les dépositions suspectes de prétendus complices à la solde de la police. Ces bruits servaient le ministère, à qui les chambres concédèrent que la suspension de l’habeas corpus serait prolongée jusqu’au mois de mars 1818. Lord Liverpool et ses collègues triomphaient dans le parlement ; ils étaient moins heureux devant les tribunaux. À Londres, à York, le jury acquittait les émeutiers poursuivis par l’attorney-général pour crime de haute trahison. L’offense dont ils s’étaient rendus coupables ne parut pas mériter d’être qualifiée si sévèrement. Dans le comté de Derby, une troupe de cinq cents individus, armés de fusils, avait tué un spectateur paisible, mais s’était dispersée à la première sommation. Il y avait meurtre, c’était incontestable, et le jury montra qu’il ! comprenait la gravité du fait, car il condamna les trois principaux chefs à la peine capitale ; mais il ne voulut voir rien de plus grave en ces tentatives insensées.

Le ministère ne fut pas mieux obéi dans les poursuites qu’il dirigea contre les écrivains. Cobbett avait emporté de l’autre côté de l’Atlantique la verdeur ironique du pamphlétaire ; il avait laissé à ses émules de la presse périodique l’audace des injures et l’intempérance du langage. Les hommes du pouvoir n’étaient pas seuls à se plaindre de là licence des écrivains ; Southey conseillait à ses amis du gouvernement de les déporter tous ; Wilberforce s’indignait de leurs blasphèmes quotidiens. Comme il arrive toujours en pareil