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membres de la chambre des communes, mais ces revendications se manifestaient dans la rue par des actes répréhensibles. Au jour de l’ouverture du parlement, la voiture du prince régent fut assaillie à coups de pierres. Lords et membres des communes, qu’ils fussent du parti de l’opposition ou du parti ministériel, tous réprouvaient ces excès au même degré ; ils différaient sur le moyen de les réprimer. Les uns soutenaient que cette effervescence s’apaiserait dès que les affaires auraient repris leur allure habituelle ; ils faisaient valoir que l’agitation s’éteignait dans les provinces à mesure que le travail renaissait ; il fallait, à les entendre, être fermes, mais non sévères ; les lois en vigueur suffiraient à contenir les mutins, les autres, au contraire, se croyaient à la veille d’une insurrection générale. On leur avait fait accroire que les insurgés avaient des armes, obéissaient au mot d’ordre de sociétés secrètes. L’acquittement par le jury des émeutiers de Spafields épouvanta même des modérés, tels que lord Grenville, qui était, sinon le chef de l’opposition, du moins le membre le plus écouté dans le parti opposé au ministère. Lord Liverpool et ses collègues demandèrent la suspension de l’habeas corpus ; une large majorité la leur accorda.

La Grande-Bretagne a traversé des crises plus graves depuis un demi-siècle. Les chartistes ont rempli Londres de leurs processions en 1848 ; les fenians ont semblé, en 1866, avoir pour complices la populace de toutes les grandes villes. Cette suspension de la loi dont les Anglais sont si fiers, qui garantit la liberté individuelle, n’a plus jamais été prononcée. Elle l’avait été en 1793, sur la demande de Pitt, au commencement de la guerre contre la France. On l’a pardonné à Pitt, en considération sans doute des gages qu’il avait donnés auparavant au parti libéral ; on a trouvé que les ministres de 1817 étaient coupables d’avoir eu recours à ce moyen. Peut-être leur en a-t-on gardé rancune surtout parce qu’ils en abusèrent. Les chambres votèrent, en même temps et sur la proposition du cabinet, une loi contre les réunions séditieuses. Toute assemblée, n’eût-elle pour objet que de discuter des questions scientifiques ou littéraires, fut interdite. Les sociétés savantes les plus honorables ne furent pas exceptées. Cobbett, fit à sa façon la critique de ce régime arbitraire. Si redoutable qu’il fût, avec le journal à bon marché qu’il venait de créer, le ministère n’osait le poursuivre. Mais Cobbett s’effrayait d’autant plus qu’il était criblé de dettes, et sous le coup des poursuites de ses créanciers non moins que du gouvernement, il partit pour l’Amérique en déclarant qu’il avait peur d’un donjon sans plume, ni encre, ni papier.

Personne ne s’étonnera que ces mesures de rigueur, ces menaces, eussent pour première conséquence d’exciter davantage les