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populaire. En souvenir de lui, ceux qui s’attaquèrent aux métiers reçurent le nom de luddistes. Ils firent beaucoup de mal dans les provinces du centre où l’industrie était déjà développée ; ce qui est pis, les gens mêmes qui les désapprouvaient n’étaient pas bien certains qu’ils eussent tort. La masse du public se laissait encore convaincre que l’introduction des machines dans l’industrie est vraiment un désastre pour l’ouvrier.

Il était inévitable que ces désordres fussent accompagnés d’agitations politiques. L’usage s’était établi déjà de désigner sous le nom de radicaux les hommes d’opinions intempérantes. Dans l’Angleterre du temps présent, les radicaux sont ceux qui ne transigent pas avec leurs principes ; alors, c’étaient des fauteurs de révolutions que redoutait quiconque avait un intérêt à maintenir le régime en vigueur ; c’étaient des écrivains tels que Paine et Godwin, qui parlaient d’abolir toutes les lois existantes ; c’étaient, lorsque Pitt était ministre, les partisans des jacobins à qui l’Angleterre faisait la guerre. En 1816, les radicaux n’étaient, — à part Cobbett, le plus vigoureux pamphlétaire de l’époque, — que des inconnus, sans talent, sans influence, Un orateur de carrefour, Hunt, était le plus notable d’entre eux ; il ne paraît point cependant qu’il ait eu l’initiative et l’audace que doit posséder le chef d’un parti violent. On l’accusa, sur le témoignage d’un délateur dont la bonne foi est contestable, d’organiser des sociétés secrètes, de débaucher les soldats, d’ourdir des complots. Le seul acte apparent qu’il se permit fut de convoquer à Spafields, faubourg de Londres, une réunion de tous les mécontens. L’assemblée, plus bruyante que dangereuse, vota une adresse au prince régent et s’ajourna à trois semaines pour attendre la réponse. Au jour de cette seconde réunion, les esprits étaient plus agités. Hunt eut l’habileté de se tromper d’heure et d’arriver trop tard. En l’attendant, deux énergumènes, Waston, un médecin sans malades, Thistlewood, un agitateur vulgaire, entraînèrent la foule dans les rues de Londres ; une boutique d’armurier fut pillée, un spectateur paisible fut tué ; ce fut tout. Le lord-maire avait pris soin de masser sur différens points des troupes de police qui dispersèrent les émeutiers et arrêtèrent le plus turbulens. Le ministère voulut à toute force poursuivre ces quelques prisonniers pour crime de haute trahison. Le jury, moins effrayé que les représentans de la couronne, les acquitta. En face d’un gouvernement qui voulait être trop sévère, le public se montrait trop indulgent.

Le programme avoué des radicaux n’avait alors rien de bien méchant ; il se réduisait à ceci : le suffrage universel, un parlement annuel élu au scrutin secret, l’allocation d’une indemnité aux