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souverains de l’Europe), tel l’épuisement des finances, que les ministres eux-mêmes trafiquaient à peu près ouvertement des places les plus importantes. Vice-royautés, titres de noblesse, ordres de chevalerie, entrée aux conseils, étaient donnés au plus offrant. Le roman de Gil Blas, sous les couleurs de la fiction, peint exactement la réalité à cet égard. Dona Maria recevait des sommes de plus en plus considérables, dont la reine, comme le duc de Lerme, finit par vouloir profiter. Elle était avare, et le comte de Villahumbrosa, président de Castille, put lui reprocher un jour d’avoir fait passer 180,000 doublons en Allemagne, sous prétexte de faire bâtir un couvent. Il convient d’ajouter que, vu la pénurie du trésor, la régente manquait quelquefois d’argent pour son propre service, et pour celui du roi son fils. Et le mal ne fit qu’empirer. Quelques années plus tard (1681), les livrées de l’écurie du roi désertèrent, faute d’être payées. Les rations données à toutes les personnes du palais, y compris les femmes de la reine, manquèrent également.

Ce trafic prolongé finit par acquérir un tel degré d’importance, que Maria de Ucedo ne se trouva plus à la hauteur des négociations. Son rôle d’intermédiaire échut alors à son mari. Valenzuela fut mis par ce moyen en rapports directs avec la reine. La situation de dona Maria auprès de la régente facilitait les entrevues et permettait de les rendre absolument secrètes. Le cavalier andalous ne laissa pas échapper ces occasions de s’insinuer dans la confiance de Marie-Anne. Possédant l’art et les moyens d’être bien informé, il affecta le plus grand zèle à servir ses intérêts, la mettant au courant des intrigues de la cour, des visées de don Juan, des cabales des grands seigneurs de son parti, des mesures concertées contre le gouvernement du premier ministre. La reine, qui portait le deuil sévère des femmes espagnoles, qui parlait peu, qui ne voyait personne, paraissait cependant informée de tout ; ce qui faisait dire aux courtisans qu’elle avait à ses ordres un lutin, un esprit follet qui l’avertissait de toutes les nouvelles et de toutes les affaires les plus secrètes. Il y avait trop d’intéressés à démêler la vérité pour que celle-ci tardât beaucoup à être connue. On finit par découvrir que le lutin en question n’était autre que Valenzuela, et le nom lui en resta (el Duende. )

Quoique admis à conférer secrètement avec la reine, Valenzuela n’était pas pour cela entré dans son intimité. L’éclatante et soudaine disgrâce du père Nithard lui en ouvrit le chemin.


II

Parti de Consuegra après sa lettre insolente à la reine, don Juan d’Autriche s’était dirigé, comme nous l’avons dit, vers l’Aragon à