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livres recueillis par les Médicis, dont il fit une bibliothèque ouverte au public.

On a donc fait à Savonarole un singulier reproche quand on a exprimé l’opinion que sa mission à Florence avait été funeste au développement des lettres et des beaux-arts. Il y a bien eu ses auto-da-fé ; il a fait détruire, il est vrai, beaucoup de charmantes œuvres que nous admirerions et surtout que nous couvririons d’or aujourd’hui ; le souvenir de telles exécutions a, sans nul doute, de quoi faire frémir les collectionneurs passionnés de notre siècle ; mais ceux qui se préoccupent uniquement du grand art peuvent bien trouver une large compensation à ces torts réels dans le haut et noble essor qu’il excita autour de lui, et auquel s’associèrent volontairement de si grands artistes.

Une des plus intéressantes preuves de l’émotion que sa parole faisait naître est le grand nombre des représentations figurées qui accompagnaient chacun de ses sermons imprimé et publié. La foule frémissante que ces ardens discours avaient agitée sous les voûtes de Santa-Maria del Fiore ou de l’église du couvent de Saint-Marc, et celle qui n’avait pu y trouver place, recherchaient avec une égale ardeur ces feuilles multipliées aussitôt en éditions populaires. Les visions qu’il avait évoquées se retrouvaient ici, avec des illustrations nombreuses, de nature à parler vivement à l’imagination et à la foi sincère. On sait qu’aujourd’hui ces plaquettes sont fort recherchées des bibliophiles, particulièrement à cause des gravures sur bois qui y sont jointes ; ils y trouvent, en effet, un double témoignage : celui de l’impression profonde que les contemporains ont ressentie, et celui du zèle sincère avec lequel les artistes de la Renaissance ont traduit le sentiment public. L’étude de ces petits monumens d’un art délicat et sérieux intéresse à la fois l’histoire littéraire et l’histoire des arts.

C’est donc une bonne et ingénieuse pensée qu’a eue M. Gustave Gruyer de songer à faire connaître d’utiles représentations figurées dont les originaux sont devenus fort rares et fort chers. Avec les procédés industriels dont on dispose de nos jours, avec le talent d’un artiste tel que M. Pilioski, on pouvait prétendre à reproduire très fidèlement les gravures du XVe siècle ; le succès n’a pas trompé cette espérance. M. Gruyer a réuni, à force de recherches minutieuses, les meilleurs exemplaires des œuvres illustrées de Savonarole ; il y a choisi les bois les plus intéressans ; il a joint à l’habile reproduction de ces bois un intelligent commentaire. Nul n’était mieux préparé à cette œuvre délicate, puisqu’il avait traduit naguère, en y ajoutant une étude importante, le livre de M. Pasquale Villari, et qu’il rencontrait autour de lui, dans sa propre famille, l’utile secours du goût le plus sûr et des avis les plus autorisés sur l’histoire de l’art italien et particulièrement sur l’histoire de la gravure.