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commentateurs. Il pense que l’oxos ou l’acetum, dont il est question dans le passage de Tite-Live et dans les textes empruntés aux écrivains stratégistes, désignait, non du vin aigre, mais une substance détonante, explosible, une espèce de dynamite, peut-être même un corps analogue à la nitro-glycérine.

Nous croyons qu’ici la tendance de notre savant guide à rapprocher les procédés militaires de l’antiquité de ceux qui sont usités aujourd’hui l’a entraîné beaucoup trop loin. Ce n’est pas que nous tenions pour inadmissible en soi l’hypothèse de certains secrets de chimie purement empirique dont les Carthaginois, héritiers des vieux Phéniciens, auraient été les possesseurs. Le goût du mystère qui caractérise leur civilisation expliquerait suffisamment comment ces secrets se sont perdus. Mais une réflexion doit couper court à ces conjectures. Il est évident qu’un peuple qui aurait seul disposé d’une arme aussi redoutable qu’une substance explosible en eût fait à la guerre l’emploi le plus fréquent et lui aurait dû d’immenses avantages. Or pas une fois dans tout le cours des guerres puniques, — et l’on sait par combien de sièges de tout genre elles furent marquées, — pas une seule fois nous ne découvrons un recours quelconque à cet énergique moyen de destruction. La remarque a même été faite que ce n’est pas comme preneur de villes qu’Hannibal a conquis le plus de lauriers. Comment imaginer qu’il eût négligé, quand il fallait démolir des remparts de pierre, un procédé qui lui avait permis de venir à bout du granit des Alpes? Et puis, pourquoi appeler vinaigre, liquide parfaitement connu, quelque chose qui en différait du tout au tout?

Sur ce point, M. Maissiat, dont nous avons parlé ci-dessus, d’accord avec M. Sainte-Claire Deville, nous paraît avoir donné l’explication la plus rationnelle. En fait Polybe, Silius Italiens, Diodore de Sicile, Cornélius Nepos, Isidore de Séville ne parlent que d’une ouverture de route, pénible, exigeant beaucoup d’efforts, mais exécutée par les moyens ordinaires à l’aide du fer. Pourquoi le premier surtout, si rapproché des événemens qu’il raconte, aurait-il passé sous silence l’emploi du vinaigre ou de tout autre expédient frappant l’imagination? Il s’agissait donc simplement d’un travail qui étonna à bon droit les contemporains, qui fit le plus grand honneur aux sapeurs de Carthage et au chef intrépide qui avait su leur communiquer son ardeur, d’un travail qu’on aurait pu croire impossible, mais qui n’en fut pas moins exécuté avec une rapidité tenant du prodige. Le chemin fut taillé dans le roc vif, là où nul ne semblait pouvoir jamais poser le pied. Quand il fut percé de manière à laisser passage aux hommes et aux chevaux, il était encore trop étroit pour les éléphans; on l’élargit. Ce travail effrayant fut