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est quelquefois supérieure à l’emploi qu’on en peut faire ; de là le bon marché. Mais, patience ! le bon marché amène la création de nouvelles entreprises et un surcroît de travail, et s’il y a plus d’entreprises et de travail, le capital renchérit et donne plus de revenu, jusqu’à ce qu’il baisse encore de prix par suite d’une nouvelle accumulation. Que voulez-vous? le monde n’est pas fait pour les rentiers et les oisifs, et il n’y a pas grand mal à ce que chacun se sente obligé de travailler pour compenser ce qu’il peut trouver en moins dans le placement de ses capitaux. Tout le monde y gagne et la richesse publique s’accroît d’autant plus. Ce qu’il y a de certain, c’est que la diminution du taux de l’intérêt est très favorable au progrès, absolument comme peut l’être la diminution de prix du plus grand engin industriel qui existe. On se plaint tous les jours que l’agriculture manque de capitaux, que ceux-ci sont trop chers pour lui arriver; abaissez-en le prix, et alors ils lui arriveront; ils pénétreront tout au moins dans divers canaux de la circulation où ils ne vont pas aujourd’hui. Il n’y a donc qu’à se féliciter, je le répète, de la diminution du taux de l’intérêt, et un gouvernement qui a le sentiment de ses devoirs doit la favoriser par tous les moyens possibles ; un de ces moyens, le plus simple et le plus efficace, c’est de régler le taux du crédit public sur celui du marché. Pourquoi l’état proposerait-il du 4 1/2 à ses créanciers lorsque le taux du marché est à 4?

Une caricature faite dernièrement à propos de la conversion représentait de pauvres paysans en sabots apportant à pied, péniblement, le montant de leurs contributions aux percepteurs, et ceux-ci le remettaient aux rentiers qui l’emportaient allègrement en voiture. L’image était, à coup sûr, forcée : beaucoup de rentiers ne sont pas en état de remporter en voiture les arrérages qu’on leur paie. Mais la pensée était juste au fond. Elle signifiait que les contribuables sont, en somme, plus intéressans que les rentiers ; ils sont aussi plus nombreux, puisqu’ils représentent 36 millions d’individus contre 3 millions de rentiers à peine. Enfin, seraient-ils aussi intéressans les uns que les autres et en nombre égal, il faudrait encore faire ce qui est juste, et il n’est pas juste de tirer de la poche des contribuables un sou de plus que ce qu’ils doivent réellement; et quand à cette considération, si forte et si décisive, se joint la nécessité de donner au crédit tout l’essor possible, on ne peut pas songer un instant à la conversion en 4 1/2 pour 100, elle ne répondrait à rien de ce qu’on doit désirer.

Serait-on plus heureux avec la conversion en 3 pour 100 ordinaire? Cette idée a été mise en avant par un homme dont nous respectons la haute capacité financière, M. Isaac Pereire, et soutenue