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dans des attaques de flanc désespérées, où ils se faisaient aider de molosses qui paraissent s’être très vaillamment conduits, ils tâchent de couper la longue colonne carthaginoise. Un moment la position de celle-ci fut compromise. Le chemin était étroit, bordé de précipices. Les charges furieuses des Gaulois jetaient le désordre dans les rangs, les bêtes de somme roulaient dans les abîmes, entraînant des hommes avec elles. Alors Hannibal et son avant-garde revinrent sur leurs pas et s’occupèrent d’abord de balayer les flancs de la montagne. Accablés sous une grêle de traits et de projectiles, — et dans un engagement de cette espèce les frondeurs baléares durent rendre de grands services, — les montagnards se dispersèrent, l’ordre fut rétabli et le passage de la Pioly franchi.

Hannibal ne pouvait laisser sur ses derrières la position fortifiée qui avait servi de point déconcentration et de refuge aux attaquans. Il se porta donc immédiatement sur l’oppidum des Katoriges, qu’il surprit sans défenseurs. Les habitans s’étaient enfuis à son approche. On y trouva nombre de chevaux et de mulets, des approvisionnemens de céréales et des viandes en quantité suffisante pour nourrir l’armée pendant plusieurs jours. Les historiens ne nous disent pas le nom de cette citadelle habitée, mais il n’est pas douteux, si du moins l’itinéraire que nous suivons n’est pas absolument erroné, que c’était Chorges (Katorimagen), aujourd’hui petite ville de deux mille âmes, jadis capitale des Katoriges, plus tard embellie par les Romains et où, de nos jours encore, l’église paroissiale n’est autre qu’un vieux temple de Diane, laquelle avait probablement succédé à quelque matrone celtique.

Ce coup hardi frappa de terreur les montagnards, et Hannibal put se flatter de mener à bien sa rude entreprise sans avoir à repousser de nouvelles attaques. Il arrivait enfin dans le bassin de la haute Durance. Là les torrens encaissés, grossis subitement par quelque fonte de neige, lui firent éprouver des pertes sensibles en hommes et en chevaux. La forte position d’Embrun, près de laquelle il dut passer, ne l’arrêta pas. On était encore dans ces parages sous l’impression du combat de la Pioly et de la prise de Chorges. Bien mieux, en amont d’Embrun, le général carthaginois vit arriver des chefs de clan qui s’approchèrent de lui portant à la main des couronnes et des rameaux de feuillage, symboles d’intentions pacifiques et signifiant la même chose, dit Polybe, que les rameaux d’olivier chez les Grecs. C’étaient probablement des Brigiani, cliens des Katoriges. Ils dirent à Hannibal qu’ils aimaient, mieux l’avoir pour ami que pour ennemi, et qu’ils le priaient de recevoir de leurs mains des vivres, des guides et des otages. Les offres étaient si belles que, tout en les acceptant, Hannibal ne put se défendre