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Review, dont Walter Scott fut l’inspirateur pendant les premières années. Ce second essai de périodicité trimestrielle ne fut pas moins bien conduit que le premier. Les deux partis politiques qui se partagent la Grande-Bretagne eurent dès lors chacun un organe où les questions du jour se discutaient avec une réserve d’appréciation, une maturité de jugement que la presse quotidienne, emportée par le besoin d’une publicité hâtive, ne comporte point.

En même temps, et dans un genre tout différent, Cobbett inaugurait la presse agressive. Ce que De Foë avait fait sous la reine Anne, Wilkes pendant les premières années du règne de George III, Cobbett le recommença, non sans acrimonie ni sans péril, bien qu’avec une adresse de plume qui défiait les poursuites judiciaires. Il inventa le journal hebdomadaire à bon marché. Le Weekly Register combattait en faveur de la réforme parlementaire ; aucune feuille publique ne contribua davantage à dévoiler les vices du régime électoral en vigueur.

Ainsi tous les écrivains, depuis ceux qui racontaient en gros volumes les annales du temps passé jusqu’aux simples folliculaires des journaux quotidiens, tous prenaient une allure plus libérale qu’au siècle passé. Le grand effroi qu’avaient inspiré les excès de la révolution française s’était évanoui. Les doctrines économiques et politiques, que Adam Smith et Bentham avaient exposées sous forme de dissertations philosophiques pénétraient dans la presse périodique qui acquérait sur l’esprit public une influence inconnue jusqu’alors. Les membres du parlement ne pouvaient plus débattre ou arranger entre eux les affaires de la nation ; l’opinion leur demandait compte de leurs votes, s’inquiétait de ce que leur rapportaient leurs concessions. À défaut d’une large base électorale, la presse devenait un pouvoir dans l’état.

Telle était la situation au lendemain de cette abominable guerre de vingt ans qui avait bouleversé l’Europe. Sortie de la lutte au prix d’efforts inouïs, sans y avoir éprouvé de grands désastres, l’Angleterre se retrouvait en 1815 un peu moins avancée qu’au moment où elle avait pris les armes. L’essor des idées modernes s’était ralenti, sinon arrêté. L’Angleterre était devenue l’alliée des princes de la sainte-alliance, elle était gouvernée comme au siècle précédent par une aristocratie de terre et d’argent, dont les pouvoirs reposaient sur d’iniques privilèges, avec un parlement corrompu dans son essence, une populace ignorante et pauvre, une église intolérante, une dynastie discréditée. Néanmoins les idées de réforme avaient mûri. Il reste à dire comment elles triomphèrent.


H. BLERZY.