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trop rigoureuse, était incertaine dans son application ; les coupables enfermés dans les prisons s’y corrompaient davantage au lieu de s’amender. La population était complice d’une foule de délits dont elle excusait les auteurs ; c’est ainsi par exemple que la contrebande s’exerçait partout avec la connivence des petites gens, quelquefois des riches propriétaires. La démoralisation s’étendait comme une plaie que l’on irrite en voulant la guérir par des remèdes énergiques qui ne lui conviennent point.

Il y avait encore, à cette époque, des préjugés contre l’instruction des classes pauvres ; aussi les écoles manquaient-elles partout pour les enfans du peuple. Un demi-million d’enfans recevait de façon ou d’autre une éducation plus ou moins imparfaite ; deux millions grandissaient dans l’ignorance. Il n’était pas nécessaire d’aller bien loin pour apprendre ce que vaut l’instruction primaire et comment elle peut être donnée sans grande dépense. L’Ecosse possédait des écoles de paroisse depuis deux cents ans et les entretenait au moyen de l’impôt foncier. Mais en Angleterre les maîtres faisaient défaut autant que les bâtimens d’école. Cependant la réforme s’annonçait déjà, et la concurrence entre les diverses confessions religieuses en fut le plus actif stimulant. Les dissidens avaient créé en 1807 une société pour l’amélioration de l’enseignement primaire ; les partisans de l’église établie créèrent une société rivale deux ans plus tard. Les classes pauvres ne demandaient qu’à profiter des occasions de s’instruire qui leur étaient offertes. Mais les écoles élémentaires restèrent longtemps encore au-dessous de ce qu’elles devaient être. Pour les écoles, de même que pour les prisons, pour les luttes électorales, que l’on relise Dickens, le peintre véridique de la vie anglaise au commencement du XIXe siècle.


IV.

Quelle place tenait l’armée, au sortir d’une longue guerre, dans cette société où les idées de la révolution française n’avaient produit aucun effet, où les classes nobles étaient riches et égoïstes, les commerçans ambitieux du pouvoir, le peuple pauvre et ignorant ? Par tradition, il n’y avait pas de pays en Europe où l’on fût moins disposé à admettre qu’une armée permanente est nécessaire. Cette répugnance s’était traduite et se traduit encore de nos jours sous une forme dont on ne rencontrerait l’analogue nulle autre part. Depuis 1689, la loi contre la mutinerie n’est jamais votée que pour une année. Non content de renouveler chaque année le vote des subsides à défaut desquels les troupes ne seraient pas payées, le parlement veut encore ne pas donner d’avance au gouvernement le pouvoir de conserver les soldats sous les drapeaux. C’est au fond