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les seigneurs. Un jour, au lendemain d’une élection, le duc de Newcastle donna congé à cinq cent vingt-sept de ses fermiers parce qu’ils avaient voté contre son candidat. Comme on lui en faisait des remontrances : « N’ai-je pas le droit de disposer de mon bien ainsi que je l’entends ? » répliqua-t-il, et l’on n’ignore pas que, pour les tenanciers irlandais, l’expulsion était la ruine et la misère.

Observons que certains bourgs en étaient venus, par la suite des temps, à n’avoir plus qu’une existence presque nominale. Bramber avait cent habitans, tous cultivateurs ; Corfe Castle se composait de quelques chaumières autour d’un château démantelé ; Beeralston était une maison louée 250 francs par an ; Galton était le parc de son propriétaire ; le fameux Old Sarum, qui eut le grand honneur d’être représenté par les deux Pitt, n’était qu’une colline verdoyante ; Dunwich avait été submergé. Dieu sait quand ! dans les flots de l’Atlantique. Tout bourg nommait pourtant ses deux membres. S’étonnera-t-on que cette sorte de propriété eût une valeur vénale ? Cela se vend, cela s’achète comme des billets de spectacle, disait une pétition adressée à la chambre des communes en 1817. Le prix courant s’élevait, paraît-il, à 10,000 livres pour les deux sièges et pour la durée d’un parlement. Personne ne semblait s’apercevoir que ce trafic fût contraire à la loi ou réprouvé par la morale. Brougham, déjà classé comme l’un des champions du parti whig, se plaignit avec amertume que le duc de Bedford eût vendu, sans même lui en donner avis, le bourg de Camelfort dont il était l’élu ; le public pensa que Brougham avait raison de n’être pas content, car il était l’ami personnel du duc ; celui-ci devait au moins prévenir son représentant.

Il n’y a pas d’institution si mauvaise qui n’ait, d’un point de vue différent, quelque avantage. Sans ce vice de simonie l’aristocratie britannique serait restée impénétrable, elle eût été ce que l’on appelle de nos jours un corps fermé, dont l’influence politique aurait décru sans cesse ; à l’instar de ce qui s’est vu dans d’autres pays, elle aurait conservé le pouvoir, tandis que les classes bourgeoises plus riches, plus intelligentes, plus instruites en eussent toujours été exclues. Bien que la propriété foncière fût restée le signe le plus manifeste, le plus respecté, le plus envié de la richesse, la fortune mobilière avait acquis un grand développement dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, le commerce et les entreprises industrielles réussissaient. D’autre part, des cadets de famille, partis à dix-huit ans pour l’Inde, en revenaient plus riches que leurs aînés héritiers du domaine paternel. Négocians et nababs avaient souci d’acquérir la situation sociale que conférait un siège au parlement. Les bourgs, quel qu’en fût le prix, semblaient faits pour eux. Fallût-il, le propriétaire indemnisé, payer encore les