Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/848

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a peu de choses à dire sur l’ordonnance même et la composition du livre. Il est vrai qu’il commence lourdement. Relisez cette entrée de Charles Bovary dans une étude du lycée de Rouen, ces grosses plaisanteries d’écoliers, la description de cette casquette extraordinaire « où l’on retrouvait des élémens du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton. » Si l’auteur avait voulu donner au lecteur la sensation d’un homme qui fait un gros effort pour se mettre en haleine, il avait réussi. C’était, avec cela, le plein monde réaliste : vous eussiez dit un chapitre détaché des Souffrances du professeur Deltheil. Pourtant, dès le début, dans cette description même, vous pouviez saluer un écrivain. Quand il appelait cette casquette, « une de ces pauvres choses dont la laideur muette a des profondeurs d’expression, comme le visage d’un imbécile, » vous pouviez affirmer que l’homme qui avait trouvé ces deux lignes entendait le langage des choses et qu’il savait le rendre. Sauf ce point, sauf peut-être aussi qu’on peut trouver trop longue, puisqu’elle n’est pas essentielle à la suite du récit, l’histoire de la jeunesse et du premier mariage de Charles Bovary, — mais ceci serait discutable, — l’œuvre était composée comme une œuvre classique, jetée d’un bloc, ferme en son assiette, une, rapide, admirablement développée.

Brutale d’ailleurs, et pénible à lire, mais non pas immorale. Car même en admettant que, par l’effet d’un propos délibéré de l’auteur ou de quelques défaillances d’exécution peut-être, il se porte sur l’héroïne une espèce d’intérêt dont elle est d’ailleurs absolument indigne, il n’est pas moins vrai qu’il n’existe pas, à bien lire le livre, de plus amère dérision de toutes les extravagances romantiques. Jamais le droit divin de l’amour, l’union prédestinée des âmes qui s’appellent à travers l’espace et qui se rejoignent par-dessus les obstacles, que sais-je encore? la morale de la passion, non plus cette morale « qui s’agite en bas, terre à terre » dans la prose du ménage, mais « l’autre, l’éternelle, comme dit si bien M. Rodolphe Boulanger de la Huchette, celle qui est tout autour et au-dessus, comme le paysage qui nous environne et le ciel qui nous éclaire, » jamais rien de tout cela n’a été, même depuis lors, à la scène ou dans le roman, cinglé des coups d’une ironie plus méprisante. Et chose admirable ! ce sont les moyens eux-mêmes du romantisme qui servent d’instrumens à cette dérision du romantisme. C’est encore ce que voulait dire M. Montégut quand il rappelait Don Quichotte à l’occasion de Madame Bovary, Certainement il ne comparait pas le roman de Flaubert à celui de Cervantes, mais il avançait que, comme Don Quichotte avait à jamais ridiculisé les dernières exagérations de l’esprit chevaleresque et comme les Précieuses avaient ridiculisé pour toujours la folie du phébus,