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de leur art ! et qui aient enrichi leur métier ! Ceux-là, comptez-les sur vos doigts; la liste n’en sera pas longue et vous aurez vite fait l’addition.

Ce qui est vrai, c’est que toutes sortes de procédés ne conviennent pas indifféremment à toutes sortes de sujets. Quand on en connaît le maniement, il reste à en trouver l’application. En littérature comme partout les procédés ne rendent ce qu’ils contiennent d’effet qu’à la condition de converger tous ensemble dans un sujet approprié. Ce sujet, qui depuis s’est toujours dérobé aux prises de Flaubert, il l’a rencontré une fois dans Madame Bovary.

On écrira tôt ou tard, à l’occasion de ce livre, un intéressant et curieux chapitre d’histoire littéraire. M. Montégut, ici même, en a tracé le sommaire[1]. C’est une date que Madame Bovary dans l’histoire du roman français. Elle a marqué la fin de quelque chose et le commencement d’autre chose. C’est l’idée que nous reprendrons à notre manière en disant qu’à tous ses autres mérites le roman de Flaubert joignit celui de paraître en son temps. C’en est un, très réel, plus rare qu’on ne pense, comme c’en est un autre que de savoir durer, et un autre encore que de savoir finir à son heure. Il faut seulement s’entendre. Paraître en son temps, c’est quelquefois, c’est trop souvent, profiter en habile homme, — et rien de plus, — d’un caprice de l’opinion, d’une fantaisie de la mode, d’une fougue passagère de la popularité. Tel fut, quelques mois après Madame Bovary, le cas de Fanny, d’Ernest Feydeau. Nous pouvons dès aujourd’hui, nous pourrions, si ce n’était fait, l’enterrer à jamais dans ces hypogées que l’auteur avait fouillés avant que de s’aviser qu’il était né romancier. Mais paraître en son temps, c’est quelquefois aussi reconnaître d’instinct où en est l’art de son temps, quelles en sont les légitimes exigences, ce qu’il peut supporter de nouveautés, et cela, c’est si peu suivre la mode que c’est souvent aller contre elle, c’est si peu s’abandonner au courant, qu’au contraire, c’est le remonter.

Alors, vers 1856, c’en était fait du romantisme. On ne croyait plus « aux courtisanes conseillant les diplomates, aux riches mariages obtenus par des intrigues, au génie des galériens, aux docilités du hasard sous la main des forts. » On n’estimait plus par-dessus tout « la passion, Werther, René, Franck, Lara, Lélia et d’autres plus médiocres. » Signe des temps, bien caractéristique ! elle-même, l’auteur de Lélia, avec cette infinie souplesse de talent qui n’est pas la moindre part de son génie, se préparait à changer de manière. Elle allait devenir l’auteur du Marquis de Villemer ;

  1. Voir la Revue du 1er décembre 1876.