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ne conviendraient guère mieux à la Russie contemporaine que nos états-généraux composés des trois ordres ne siéraient à la France d’aujourd’hui[1]. Cette originalité slave, faut-il l’aller chercher dans le présent, à l’étranger, chez les petits peuples du Balkan congénères de la Russie, dans la skoupchtina et la constitution serbe encore toute récente, ou bien dans le statut bulgare élaboré à Saint-Pétersbourg par la chancellerie russe ?

Ce statut bulgare, altéré et défiguré par les notables de Tirnovo jusqu’à en être devenu presque méconnaissable, a pour nous l’intérêt d’avoir été rédigé, sur l’ordre du tsar, par un homme d’état russe pour un peuple slave. On est naturellement tenté de se demander si c’est sur le même patron que serait taillée une constitution russe, le jour où, pour les mettre politiquement sur le même pied que leurs protégés du Balkan, le tsar se résoudrait à octroyer une charte à ses quatre-vingt-dix millions de sujets.

En ce cas, où serait l’originalité slave et l’empreinte nationale ? Serait-ce dans l’existence d’une chambre unique comme en Serbie et en Bulgarie? Veut-on dans ces constitutions à peine mises à l’essai ou dans les obscures traditions slavonnes découvrir quelque caractère national, ce ne peut guère être ailleurs.

Et en effet, à tort ou à raison, une assemblée unique serait, croyons- nous, généralement regardée comme plus slave, plus russe qu’un parlement avec deux chambres distinctes et indépendantes comme en ont aujourd’hui la plupart des peuples civilisés d’Europe et d’Amérique. Si au fond cela n’est pas plus slave qu’autre chose, — car en dehors de nos grandes assemblées de la révolution, la Grèce en Europe et Costa-Rica en Amérique n’ont encore aujourd’hui qu’une seule chambre, — cela paraît plus conforme aux goûts et aux préjugés, si ce n’est aux traditions, aux instincts, aux besoins des Slaves modernes. Pour ces nouveau-venus à la vie politique comme pour l’amour-propre russe, une assemblée unique a le grand mérite d’être quelque chose de moins commun, de moins banal, et outre un certain air de nouveauté, d’avoir une certaine saveur démocratique dont Russes, Serbes ou Bulgares, la plupart des Slaves, se montrent très friands. Aux yeux du gouvernement de Saint-Pétersbourg, qui, dans son projet de statut bulgare, s’était également arrêté à une seule chambre, ce mode de représentation avait peut-être l’avantage de moins ressembler à l’appareil habituel du régime parlementaire. Aussi n’y aurait-il pas lieu de s’étonner si à l’heure

  1. Un savant russe, M. Sergévitch, a du reste, il y a quelques années, montré que le sobor moscovite n’avait rien de réellement original, rien qui le distinguât essentiellement de nos états-généraux, par exemple. Voyez le second volume (1875) du Recueil des sciences politiques publié par M. V. Bezobrazof.