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efficace[1]. Ces zemstvos semblaient en termes discrets dire au gouvernement : — Voulez-vous que la nation vous vienne en aide, donnez-lui-en l’autorisation, déliez-lui les mains, ouvrez-lui la bouche.

Les hautes sphères du gouvernement commencent à comprendre cet impérieux besoin du concours effectif de la société. L’homme auquel depuis l’explosion du Palais d’hiver l’empereur a remis de pleins pouvoirs, le dictateur militaire appelé comme un sauveur par la Gazette de Moscou a profité de l’espèce de blanc-seing qui lui était confié pour faire aux représentans de la société civile une place dans le gouvernement de combat dont il est le chef. Au sein du comité de salut public qui, sous le nom de suprême commission exécutive, centralise tous les pouvoirs, le général Loris-Mélikof a voulu faire siéger des délégués élus du conseil municipal élu de Saint-Pétersbourg. Cet exemple tout nouveau sera peut-être suivi en province, dans les comités locaux ; mais, si intelligente que soit une pareille initiative, si louable et si sensée que soit la politique d’apaisement du général Loris-Mélikof, de telles mesures inspirées par la crise actuelle ne peuvent être que des expédiens provisoires pour une situation extraordinaire. La Russie a besoin d’autre chose; ce qu’il lui faut, ce sont des institutions permanentes et organiques, c’est pour la société une participation normale et régulière à la chose publique. Or, à cet égard, l’élargissement même des attributions des assemblées provinciales ne saurait longtemps suffire. De ces états provinciaux (zemstvos) ou d’ailleurs il faudra tôt ou tard faire sortir une vraie représentation nationale, car, dans leur dispersion et leur faiblesse actuelle, ces zemstvos n’en semblent aujourd’hui qu’une monnaie déjà dépréciée.

Une dictature paraît-elle pour longtemps nécessaire, rien n’empêcherait de la faire sanctionner et confirmer par la nation. La Russie assurément marchanderait encore moins au tsar les lois contre les nihilistes que l’Allemagne ne marchande à M. de Bismarck les lois contre les socialistes..

Que si l’on s’élève à un point de vue plus général, n’envisageant pas seulement les tristes nécessités du moment et les moyens de mettre un terme aux sinistres exploits du nihilisme, mais bien aussi les moyens d’en empêcher le retour, l’utilité de réformes politiques apparaît clairement. Certes, comme nous le confessions tout à l’heure, elles ne sauraient désarmer tous les ennemis du pouvoir et les partisans d’une révolution sociale, mais l’un des effets de l’obtention des droits politiques serait de faire naître en Russie

  1. Le texte primitif de plusieurs de ces adresses, modifié sous l’influence des gouverneurs, a été publié dans les feuilles russes de l’étranger, par exemple dans l’Obehtchée Délo de Genève.