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je ne suis pas de son avis, mais ce petit homme me rappelle pourtant la manière et le geste et la vivacité de paroles de l’empereur les jours où il n’était pas très raisonnable. » Cette belle humeur guerrière s’échappant en saillies, mais sachant aussi redevenir « raisonnable, » était un trait de l’homme.

C’est toujours M. Thiers avec sa vivacité expansive, tel qu’il était dans le plein essor de ses facultés et de sa fortune croissante, tel qu’il était surtout en 1834, 1835, à ces momens où l’on travaillait d’un commun effort à fonder un gouvernement et où l’on croyait presque avoir réussi par cette politique de Casimir Perier, du 11 octobre, qui ne craignait pas de s’appeler elle-même la politique de résistance. Le point culminant de cette campagne engagée sous toutes les formes, sur tous les champs de bataille de la rue et du parlement pour la défense de la monarchie nouvelle, le point culminant et décisif est cette heure tragique de juillet 1835, où le plus effroyable crime, en semant la mort sur le passage du roi, révélait tout à coup que, si on avait beaucoup fait, on n’avait pas peut-être fait encore assez.

On avait vaincu l’anarchie dans tous ses retranchemens, par les armes et par les lois sur les crieurs publics, sur les attroupemens, sur les associations ; on lui avait arraché ses masques et ses moyens d’action. « Elle est maintenant à son dernier asile, disait le duc de Broglie sous le coup de l’attentat de Fieschi ; elle se réfugie dans une presse factieuse, elle se réfugie derrière le droit sacré de discussion que la charte garantit à tous les Français. » De là ces lois dites de septembre qui n’avaient d’autre objet que de mettre le roi et la charte à l’abri en imprimant aux attaques dirigées contre l’un et l’autre le caractère d’attentats désormais justiciables de la cour des pairs. Il s’agissait de conquérir une garantie de plus, et dans ce nouveau combat M. Thiers s’engageait résolument, au risque d’avoir à se mesurer avec un adversaire comme Royer-Collard, qui se levait pour défendre la presse. Les lois de septembre n’étaient-elles, comme on le disait, que la colère ou l’impatience d’honnêtes gens irrités ? Ne dépassaient-elles pas la mesure et ne risquaient-elles pas d’être inefficaces ? Elles n’ont pas sans doute sauvé la monarchie de 1830, elles ne l’ont pas perdue non plus. Elles ne touchaient pas aux droits essentiels d’une discussion légitime ; elles n’étaient après tout qu’un acte de défense contre des assauts sans cesse renouvelés, et M. Thiers, en avouant tout haut la pensée de ces lois, pouvait ajouter : « Comparez-nous au passé. Nous avons été attaqués violemment, comme aucun gouvernement ne l’a été. Cherchez dans les annales révolutionnaires s’il y a des journées aussi terribles que celles de juin, s’il y a une bataille aussi