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cours de beaucoup d’esprits désintéressés, de beaucoup d’hommes appartenant à des traditions différentes et acceptant sans mauvaise humeur la nécessité. Ils se seraient dit que dans ces conditions il n’y avait qu’une politique tout indiquée, c’était de maintenir à la république nouvelle le caractère de son origine, de la faire libérale, ouverte, vigilante sans doute, progressiste aussi dans la mesure nécessaire, mais en même temps équitable, protectrice pour tous les intérêts, pour toutes les croyances. C’était juste, c’était prévoyant, et c’était d’une politique habile de montrer que la république, se dégageant des mauvais souvenirs, entrant désormais dans la famille des gouvernemens réguliers, pouvait être la loi impartiale et la garantie de tout le monde. Ce qui n’était ni juste, ni prévoyant, ni habile, ce qui ne ressemblait plus à rien de sérieux, ou plutôt ce qui prenait un caractère trop significatif, c’était d’abuser d’une victoire due à des circonstances exceptionnelles pour recommencer l’éternelle histoire des exclusions, des représailles et des fanatismes de parti. Les deux politiques ont été en présence, il y avait à se décider. Le choix a paru être fait d’abord dans le sens de la modération ; il est visiblement fait depuis quelque temps dans l’autre sens, dans le sens des inspirations de parti et de secte. C’est le trait caractéristique du moment. Et qu’on ne s’y trompe pas, la marche des choses a sa logique. Une fois qu’on est dans cette voie, la situation générale est tout, les incidens ont peu d’importance, ils ne sont par instans tout au plus que l’amusement de la scène. Que M. Lepère quitte le ministère de l’intérieur et soit remplacé par son sous-secrétaire d’état, M. Constans, qu’il y ait une interpellation plus ou moins intempestive sur la manifestation communaliste du 23 mai, qu’on discute sur l’enseignement, sur la magistrature, sur l’armée, sur le repos du dimanche ou sur les beaux-arts, peu importe. La question n’est pas dans tel ou tel détail, dans tel ou tel fait, pas plus que dans les succès ou les mésaventures de tel ou tel ministre. Le mal est dans cet esprit de parti et de secte qui domine tout, qui envahit tout, dont le gouvernement lui-même est le très humble subordonné, qui se manifeste particulièrement sous la forme des exclusions les plus puériles et sous cette autre forme de la guerre aux idées religieuses, aux écoles, aux congrégations, — même aux processions !

On a voulu se donner, à la place de la république libérale et régulière, qui après tout est dans la constitution, une république d’un autre genre, laïque, obligatoire et malheureusement assez coûteuse : on commence à l’avoir ! Elle règne, ou plutôt ce qui tend à régner sous ce nom, c’est la plus exigeante, la plus vulgaire et la plus ombrageuse passion de parti. Il y a eu un temps où l’on ne croyait pouvoir mieux faire pour rassurer le pays que de lui promettre la république sans les républicains ; c’était vraiment un peu exagéré. Aujourd’hui, par une revanche éclatante, ce qu’on nous promet, et même ce qu’on nous