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naturel les événemens d’une époque, ils ne doivent évidemment pas absorber notre attention et nous distraire de ces événemens eux-mêmes. Les peintres qui se laissent dominer par eux, au lieu de les soumettre aux impressions qu’ils veulent nous suggérer, amoindrissent d’autant leurs œuvres. Malheureusement la prodigieuse abondance et le rapide accroissement de ces informations acquises par la science étaient de nature à les tenter. Comme ces parvenus qui volontiers font étalage de leur luxe et demandent aux choses extérieures la distinction qui n’est point en eux-mêmes, un trop grand nombre d’artistes ont tenu à se parer de ces richesses d’emprunt qui leur procuraient à bon marché les illusions de l’érudition. Ils ne doivent accuser qu’eux-mêmes si nous sommes aujourd’hui un peu blasés sur cette défroque de tous les temps dont, sous prétexte d’archéologie, ils ont rassasié nos yeux. C’est ainsi que, pour notre histoire, aux troubadours de la restauration et aux truands en faveur vers 1830, nous avons vu, avec les courans de la mode, succéder les épisodes de la Saint-Barthélemy et les mignons de Henri III, et que par les mousquetaires et les abbés galans, nous avons insensiblement abouti à la période révolutionnaire. La statistique de nos expositions fournirait des chiffres instructifs sur ces entraînemens d’opinion dont la suite est assez fidèlement calquée sur la chronologie elle-même. Et quant au point de cette série où nous sommes, une courte visite au Salon suffirait à l’observateur le moins attentif pour le marquer avec exactitude. L’envahissement de la révolution, qui depuis quelques années s’annonçait toujours plus menaçant, est aujourd’hui consommé. A part quelques attardés qui s’obstinent ou qui exécutent honnêtement leurs commandes, à part quelques rares indépendans qui choisissent à leur gré leurs sujets et leurs héros, le plus grand nombre va demander les siens à l’époque la plus sanglante et aux personnages les moins intéressans de notre histoire. A quelle cause attribuer cette contagion qui paraît s’abattre sur la production artistique? Sommes-nous donc destinés à voir se glisser aussi dans le domaine des arts la politique, qui, sans grand profit pour aucune cause, s’est mêlée insensiblement à toutes ? Nos artistes vont-ils, eux aussi, partir en campagne et nous assaillir de plaidoyers ou de protestations le plus souvent sans portée, presque toujours sans issue? Jusqu’à quel point enfin sont-ils bien inspirés, même à ne tenir compte que de leurs intérêts, en cédant à ce courant, alors que le public, lassé de ces répétitions d’une même pensée, renonce à chercher des différences dans des œuvres dont la monotonie inévitable n’est pas faite pour le passionner beaucoup ? Nous laissons à d’autres le soin de répondre à ces questions; mais, à ce propos encore, il nous serait difficile de regretter la non-réalisation de ce classement par groupes